Indonésie

Chapitre 6 : Droit au cœur

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Cigarette au bec, cheveux en bataille, pieds nus, Wayan est assis sur un plancher de bois surélevé. Comme à son habitude, il ne sait quoi faire et retrouve ses potes pour jouer aux cartes. Des rires s’élèvent de temps à autre, mais l’ennui les guette jour après jour. C’est compliqué lorsqu’on n’a rien à faire de ses journées. Pourtant Wayan prie chaque jour pour que quelque chose vienne bousculer son quotidien. Un travail serait l’idéal pour lui. Le chômage est une plaie. Bien que la courbe a tendance à diminuer depuis 2008, dix ans plus tard, il repart légèrement à la hausse. Soudainement, un détail attire son attention, un homme se balade dans la rue. Il est différent, sa peau est plus blanche que la sienne. Serait-ce un touriste ? Il tapote sur l’épaule de l’un de ses potes et pointe l’étranger du doigt. “Hey!”, crie-t-il en attirant son regard. Le contact est établi, il ne lui reste plus qu’à faire quelques gestes de la main invitant cet inconnu à venir à sa rencontre.

C’est à peu près comme cela que j’ai rencontré Wayan et sa bande de potes. Leurs visages fermés de prime abord se sont déverrouillés laissant apparaître une lueur dans leurs yeux. J’étais la personne qui venait briser leur quotidien, les sortir d’un ennui ferme, dû à leur situation économique. Leur anglais, assez médiocre, était compensé par Google Traduction et nous permettait d’avoir une conversation franche. Leurs premières questions étaient assez surprenantes. “Que fais-tu ici ? Tu es marié ? Tu cherches une femme à Sengkang ?

-Je veux juste rencontrer des gens, explorer, découvrir l’Indonésie, répondis-je
-Tu veux aller voir les maisons traditionnelles ? me demande-t-il
-Oh oui, pourquoi pas ?
-Monte derrière-moi !, dit Wayan en prenant son scooter.

Une journée de visite avec mes nouveaux potos

Je m’exécute et me voilà parti pour une grosse demi-heure de route avec Wayan et sa bande. Aussi facilement que cela, sans même me questionner, sans aucune peur, j’étais partant pour plonger dans l’inconnu. Une fois sur place, ils me montrèrent les recoins les plus secrets de ces maisons, les moindres moulures du plafond, les signes traditionnels, m’expliquèrent l’importance de ces habitations, tout ça grâce au traducteur de mon téléphone. Sans lui, je n’aurais jamais pu interagir autant avec eux. C’est un véritable moment de partage. Nous sommes tous les cinq en dehors de notre quotidien. La rencontre de l’autre, de l’étranger est un bouleversement, mais dans son aspect le plus positif. Nous conversons de tout et de rien, y ajoutons des gestes, sons, mimes pour nous faire comprendre. Les gens autour de moi sont étonnés de voir un « bule » en « liberté », mais tous avenants. Je suis surpris de voir plusieurs personnes venir spontanément près de mes potes en me pointant du doigt. Wayan me met alors au parfum : “Ils veulent prendre une photo avec toi”. Je souris et m’exécute sans rechigner. C’est un peu bizarre d’être la raison d’un cliché, mais je ne perçois plus ça comme quelque chose de mal depuis Taïwan. Et ma journée continuera d’être remplie de surprises du même acabit.

Les maisons traditionnelles sont très souvent sur pilotis

Nous reprenons la route avec mes nouveaux potes et ils me proposent d’aller voir un village un peu plus reculé. Je m’imagine déjà un peuple sauvage vivant dans la jungle, mais il n’en est rien. Certains clichés me poursuivent encore malgré plusieurs mois de voyage consécutifs. Il s’agit simplement de gens qui résident en dehors des centre-villes et qui ne viennent pas souvent se mêler à la foule. Nous dévalons sur une route des plus cabossées, je ne cesse de rebondir avec fracas sur le siège de la moto. Mon dos est en compote et mes articulations prennent cher, je prie pour que l’on s’arrête le plus vite possible. Mes prières sont exaucées quelques minutes plus tard, nous stoppons les bécanes dans une rue assez poussiéreuse composée de graviers et de grosses pierres. Une femme qui était assise dehors sur un balcon en bois commence à nous alpaguer. Elle me fait de grands signes et entame un dialogue en bahasa indonésien avec mes potes. “Elle veut t’inviter chez elle pour prendre le café ou le thé”, m’explique Wayan. “Oh, excellent ! C’est vraiment gentil de sa part.” Nous rentrons tous les cinq dans la maison sous les yeux ébahis des trois gosses qui étaient présents. Shafira est la maîtresse de maison et y vit avec sa mère et ses trois enfants. Son visage respire la bonté et son sourire irradie la pièce. Elle me fait asseoir par-terre et demande à mes nouveaux amis de faire de même. Sa maison également en bois et sur pilotis, avec une pièce centrale, dans laquelle nous avons tous pris place. Shafira et sa mère nous ramènent des tasses, des biscuits, des bonbons et autres douceurs sucrées indonésiennes. Nous entamons un jeu de ping-pong entre Google Traduction, mes potes et mes hôtes. Une session d’échange, de partage sur nos modes de vies, la raison de ma venue au Sulawesi, mes impressions sur l’Indonésie, ce que je faisais avant, la disparition de l’entraide dans la société actuelle. Je dois bien le reconnaître, l’accueil indonésien était sincèrement chaleureux.

Une rencontre improbable à base de gentillesse et biscuits sucrés

Une fois que l’on s’éloigne des endroits très touristiques, la relation d’échange avec les gens est totalement différent et n’est plus rythmée par l’argent. Je ne me sentais pas redevable ou contraint de donner des roupies pour ce moment vécu car il était le fruit d’une véritable curiosité partagée. Je n’étais pas en visite ou en excursion, je découvrais la ville, à mon rythme avec les locaux et n’importe quel paysage n’aurait pu rivaliser avec ce que je vivais sur le moment-même. Après avoir remercié mon hôte pour son accueil chaleureux, elle a tenu à ce que je pose sur une photo en compagnie de sa famille. “On va la montrer à tous nos connaissances”, déclara-t-elle à Wayan. “Nous avons un nouvel ami en dehors de l’Indonésie”, s’était-elle réjoui. Je l’ai longuement remercié avant de quitter ce petit village et repartir avec les autres en direction de Sengkang.

Une fois sur place, Wayan me propose de les rejoindre au soir pour zoner avec eux. J’accepte volontiers et leur dit que je ramènerai de quoi grignoter et boire. Bien entendu, mes nouveaux potes étant tous musulmans, hors de question de leur ramener de l’alcool, ça sera sodas et chips. Après être reparti prendre une douche à l’hôtel et m’être enfilé un bon plat de “mie goreng” (nouilles frites), je repars retrouver toute la bande au même endroit que ce matin. Nous nous installons sur ce petit meuble en bois surélevé que l’on peut aisément voir dans de nombreuses villes ainsi que sur les bords des routes. Ce soir, « comme tous les soirs« , on joue aux cartes, mais un jeu que je ne connais absolument pas. Aucun d’eux n’est capable de m’en expliquer les règles, j’essaye au feeling, mais rien de bon n’en sort. De plus, le paquet que l’on me file est collant à souhait, impossible pour moi de les mélanger sans provoquer l’hilarité de mes nouveaux compagnons. Impensable pour l’un d’eux qui décidé carrément de faire un live Facebook pour montrer à tous ses potes combien je suis mauvais. Petit bâtard.

Un peu plus tard Wayan décide de m’emmener rencontrer sa famille. Un moment un peu gênant où je ne fais que manger des biscuits et boire du café avec eux. Ils m’observent et semblent content que je traîne avec leur fils/neveu/cousin. Ils tentent également de m’offrir des cigarettes, mais je refuse poliment. Nous sommes restés une bonne vingtaine de minutes avant de repartir rejoindre les autres. Cependant, il est presque minuit déjà, la soirée touche à sa fin.

-T’as envie d’aller aux sources d’eau chaudes demain ?, me demande Wayan
-Oh ouais cool ! Faisons-ça !
-Rendez-vous demain à dix heures !
-Ça marche !

Cette journée n’avait aucun but concret, aucun objectif et s’est révélée pleine de surprises, rebondissements. Le cœur léger et le sourire aux lèvres, je me suis endormi, réalisant la chance d’avoir fait, une fois de plus, des rencontres si symboliques.

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