Comme je l’avais prévu, mon road-trip sur l’île du sud m’a permis de retrouver quasiment l’intégralité de l’équipe avec laquelle j’avais bossé dans la ferme de kiwis. Petit à petit, de villes en villes, je partais à la rencontre de ces personnes qui avaient rythmé ma vie pendant trois mois. Une véritable amitié était née et ces retrouvailles étaient l’occasion parfaite pour perfectionner cette dernière.
Nous étions huit personnes au total, réparties dans quatre bagnoles. Seul l’un des vans était “self-contained”, ce qui signifie que c’“est un véhicule qui dispose d’une toilette chimique embarquée, d’un évier, d’une réserve d’eau fraîche et d’un tuyau d’évacuation pour vider les eaux usées. En clair, ça veut dire que vous êtes autonome en matière d’hygiène !”, peut-on lire sur un site de location de véhicule en Nouvelle-Zélande.
Ces vans sont assez répandus, mais coexistent également avec des vans “normaux”, comme le mien. La différence réside surtout en termes de campings gratuits. Il existe beaucoup plus de place et d’emplacements pour ce type de véhicule. Ils sont privilégiés par de nombreuses villes car elles estiment que les vans « self contained » sont plus écologiques. Cependant, il s’agit d’une hypocrisie totale puisque tous les campings qui leur sont destinés sont équipés de toilettes et de robinets. Quel est donc l’intérêt de leur réserver des spots ou même d’acheter un véhicule « self contained » ? De plus, je n’ai jamais rencontré aucun propriétaire utiliser les toilettes de son van. Ce manque de places dans les campings gratuits entraîne parfois des situations absurdes. Par exemple, une bande de locaux qui se relaie pour surveiller les sites. Plusieurs voitures barrent la route et n’autorisent qu’un certain nombre de personnes à se garer sur le camping gratuit. Certains d’entre eux resteront jusque 23h afin de vérifier qu’aucune personne ne transgresse ces règles et ne s’infiltre dans le camping. Il fallait parfois se rendre avant 16h si l’on voulait trouver une place ! La concurrence était rude.
Et malheureusement, ce n’était que le début. L’île du Sud nous a réservé quelques petites déceptions. Pas en termes de paysages, toujours aussi grandioses, mais en termes de relation humaines. Les voyageurs en van ne sont pas toujours les bienvenus dans les villes. Nous avons passé quelques nuits sur un camping gratuit destiné à tous les véhicules et avions remarqué que plusieurs personnes klaxonnaient durant la journée. Nous pensions, naïvement, qu’il s’agissait de gens qui nous saluaient, mais lorsque ces coups de klaxons perduraient la nuit également, le doute s’empara de nous. Après avoir discuté avec plusieurs voyageurs, il semblerait qu’une solidarité est organisée entre les propriétaires d’hôtels et de bed and breakfast ainsi que certains habitants. Déçus et fâchés que les touristes ne se rendent plus dans leurs établissements, ils leur montrent qu’ils ne sont pas les bienvenus en klaxonnant à toute heure du jour et de la nuit. Un comportement enfantin qui traduit une certaine mentalité anti-voyageurs dans certains coins de la Nouvelle-Zélande. Stupéfiant pour un pays où le voyage en van semble être commun, voire incontournable.
Certains “Kiwis” en profitent également pour traquer le moindre écart de comportement des voyageurs, jusqu’à les juger sans même les connaître. Une de amies qui voyageait avec nous s’est rendu dans un hostel avec son nécessaire de toilette. Une fois arrivée à l’intérieur, elle a demandé combien lui coûterait une douche. Le propriétaire l’a regardé avec condescendance :
-Vous êtes une “backpackeuse” ?
-Oui, je voudrais savoir juste savoir combien coûte une douche
-Oh, vous savez je vais vous donner un bon plan gratuit, il y a la rivière
-Oui, je sais, mais j’espérais une vraie douche
-Bha chez nous, c’est de l’eau de la rivière aussi, mais elle est chaude
-Et donc ? Je peux prendre une douche ici ?
-Hors de question, quittez mon établissement
Une attitude plutôt surprenante pour un gérant d’un hostel, normalement habitué à ce genre de requête. Cette attitude anti-voyageurs se faisait sentir de plus en plus. Lorsque nous faisions nos courses ou choisissions les plats les moins chers dans les cafés ou encore en remplissant nos gourdes aux fontaines situées dans les parcs. Un couple de vieux voyageurs Néo-zélandais nous avait fusillé du regard parce que nous nous étions garés près de la station de décharge des eaux usées. Nous nous étions excusés, mais leur dédain en disait long sur ce qu’il pensait de nous. Quelques heures plus tard, alors que nous cherchions un endroit pour dormir entre deux villes où il n’y avait que des campings payants, nous tombons sur un recoin protégé par les arbres. Un camping-car est déjà garé, mais qu’importe, nous nous mettons à l’opposé de ce dernier. Quelques minutes plus tard, une main toqua avec fermeté sur la fenêtre de la voiture de l’un de mes potes. Il s’agissait du couple de Néo-zélandais que nous avions rencontré plus tôt.
-Vous n’avez rien à faire ici, s’énerva la femme
-Au même titre que vous, répliqua mon pote
-Nous sommes “self-contained”, vous ne l’êtes pas
-Nous connaissons les règles, rétorqua de nouveau mon pote, nous ramasserons tous nos déchets et j’ai même une petite pelle dans mon coffre pour enterrer nos besoins dans le sol
-C’est ça ! Vous mentez ! Ajouta son mari
-Vous voulez que je vous la montre ? S’énerva mon pote en sortant de sa voiture et en allant chercher ledit objet, satisfait ?!
-Vous n’avez rien à faire ici ! Vous les backpackers, vous ne respectez rien et vous chiez partout ! Nous ont-ils lancé avant de rejoindre leur camping-car.
Je ne comprenais pas pourquoi cette crainte. Cependant, en allant me balader dans la forêt avoisinante où se trouvait une superbe cascade, je suis tombé sur des selles humaines non enterrées et enveloppées dans du papier toilette. Le problème était tristement bien réel. Cette crainte des “Kiwis” s’explique suite à l’explosion du tourisme en Nouvelle-Zélande. Le pic de visiteurs fait face à un manque d’infrastructures en termes de toilettes. Les sanitaires sont, pour la plupart, vieillissants, mal entretenus et incapables de supporter le flot de voyageurs. Certaines toilettes sont verrouillées la nuit, ce qui oblige les touristes à aller déféquer dans la nature. Si certains sont soucieux et enterrent leurs déjections en ne laissant pas de papier, d’autres au contraire chient sans scrupule aux abords des cours d’eau ou encore jettent leurs serviettes hygiéniques en pleine forêt. Des comportements irresponsables et tout simplement dégueulasses. Cette crainte d’une crise sanitaire est réelle et est à incomber aux deux parties. Un manque flagrant d’infrastructures, mal entretenues, parfois inaccessibles le soir et de l’autre côté, des voyageurs égoïstes qui défèquent n’importe où, sans ramasser leurs papiers et sans enterrer le fruit de leur méfait.
La protection de l’environnement est l’un des objectifs de la Nouvelle-Zélande. Certaines de ces décisions sont mises en place afin de préserver ce dernier. Le pays a pour ambition de se débarrasser des nuisibles. Lorsque l’on se balade dans les parcs nationaux, il n’est pas rare de voir des pièges dissimulés aux quatre coins des forêts et bois. Le DOC (Department of Conservation) est l’agence gouvernementale en charge de la protection de l’environnement. Des campagnes d’éradication d’espèces invasives sont menées, comme pour les opossums, avec des appâts. A la limite, ça se comprend, il faut effectivement contrôler et éviter la reproduction excessive de ces animaux qui mettent à mal la faune et la flore locale. Cependant, comme déjà mentionné dans le chapitre 5, l’usage abusif de Roundup (autrement appelé 1080 poison) pose question. “New Zealand is the largest buyer of 1080 in the world, using over 80 percent of the production. The main reasons we use it are the cheap cost and ease of use.” Principalement utilisé pour se débarrasser des opossums, des rats et des hermines (petits animaux de la famille des mustélidés), mais aussi des lapins, furets et autres chats errants. Le souci éthique de ce poisson, c’est qu’il provoque une mort lente et douloureuse, entraînant des spasmes et étouffements. De plus, ce poison est parfois directement balancé depuis les airs en avion. Cette manière de faire met aussi en péril la vie de la faune locale : reptiles, oiseaux, insectes et poissons en font aussi les frais. De nombreux Néo-Zélandais s’opposent avec ferveur à ce poison et il n’est d’ailleurs pas rare de repérer des affiches, pétitions ou autres signes sur les façades des maisons pour protester contre son usage. Sauver l’environnement oui, mais sûrement pas dans ces conditions car cela le détruit en même temps.
Et le problème, c’est que la Nouvelle-Zélande n’en est pas à une aberration près avec ses contradictions. Les “Great Walk”, sont les neuf randonnées les plus emblématiques du pays. La plupart du temps, elles s’étalent sur plusieurs jours et nécessitent de dormir dans des cabanons. Cependant, leur prix est extrêmement élevé pour les étrangers qui doivent s’affranchir du double du montant. Cela permet, notamment, de réguler le nombre de personnes qui participent à ces treks et de préserver la nature. Paradoxalement, les vols en hélicoptères au-dessus des glaciers sont disponibles toutes les demi-heures. Business, quand tu nous tiens !
Ça été notre sujet de conversation tout l’été, pendant notre séjour en France. On était choqué des voyageurs qui laissent leurs merdes comme ça, en pleine nature, sans prendre soin de les enterrer ! Du coup en France ça commence aussi à se plaindre des voyageurs en van… C’est fou quand même !