Pendant plus de six mois, je me suis rendu à Taïwan, à l’est de l’Asie, en quête de découverte et compréhension de la société taïwanaise. Mon but premier était de faire la connaissance de son peuple, ses aspirations, ses voyageurs, ses forces et ses faiblesses. Afin de garantir l’anonymat des personnes que j’ai rencontrées, j’ai volontairement modifié leur identité. Plongée au cœur d’un environnement aux antipodes de ceux que j’avais connu auparavant
Chapitre 1 : Une goutte d’eau dans l’océan
C’est avec appréhension que j’ai atterri le 12 octobre 2017, tôt dans la matinée, à l’aéroport international de Taoyuan, l’un des trois aéroports majeurs de Taïwan. La gorge sèche, les pieds engourdis, les cheveux en bataille, – les vaisseaux sanguins qui irriguaient mes yeux, quant à eux, m’avaient déjà abandonné depuis quelques heures-, j’étais un bien curieux spectacle pour les douaniers qui semblaient me scruter de part et d’autre. En quittant l’avion, un frisson des plus étranges m’avait déjà parcouru l’échine. J’étais le seul Européen à bord, le seul « blanc ». Très vite, j’ai compris que Taïwan allait me proposer un dépaysement complet, totalement aux antipodes de tout ce que j’avais déjà vécu. Les panneaux indicateurs, le brouhaha, les annonces qui grésillent dans les baffles me rappelaient sans cesse que le monde dans lequel je me trouvais allait être bien différent de celui que j’avais quitté. Je n’étais plus considéré comme un touriste qui crapahute de bars en bars, d’échoppes de souvenirs aux restaurants de rue. J’étais une anomalie parmi les habitants de cette île de 35,883 km², j’attirais les regards. Cependant, contrairement à de nombreux autres pays où je m’étais rendu, je n’ai jamais été alpagué par des commerçants ou vendeurs de rue. Personne n’a jamais essayé de me refiler un scooter, des babioles douteuses ou encore des casquettes arborant un « I love Taiwan ». J’ai compris que je faisais déjà partie de cette jungle urbaine, sans pour autant y être totalement intégré.
A peine avais-je mis le nez dehors que l’humidité excessive, combiné à la pluie, a embué mes lunettes en l’espace de quelques secondes. Tentant vainement de les essuyer, un homme avec un bon embonpoint s’adresse à moi en chinois. Je tente quelques phrases en anglais afin de lui signaler que je ne comprends pas ce qu’il me dit. C’est peine perdue, l’homme me regarde hébété. Face à son incompréhension, je me décide de sortir mon téléphone portable et de lui montrer l’adresse de mon hostel. L’homme me fait un signe de la tête, je suis au bon arrêt de bus. Après une vingtaine de minutes, un car quelque peu démodé s’arrête devant moi. Je montre mon ticket au chauffeur et prend place dans le véhicule complètement vide. L’air climatisé me fait énormément de bien, il faut dire que la température avoisine les 30 degrés, malgré la pluie.
Dans le bus qui me conduisait vers la Taipei Main Station, j’ai eu l’occasion d’observer, à travers les vitres blafardes, le paysage qui s’offrait à moi. Quel étonnant contraste. Des petites échoppes de rue entourées au loin par les montagnes se sont peu à peu métamorphosées, au gré des kilomètres, par de hauts buildings et une circulation dense. Faut-il le rappeler, Taipei, la capitale est la septième ville où la densité démographique est la plus élevée avec 15.200 hab./km² . En comparaison, Bruxelles compte 2.200 hab./km². Une fois débarqué, à ma grande surprise, j’arrive à prononcer quelques mots en mandarin, compréhensibles par les locaux de surcroît, qui m’indiquent la station de métro dans laquelle je dois me rendre pour rejoindre mon hostel.
Un peu comme au Japon, les gens font la file avant de rentrer dans les wagons du métro. La bousculade, si présente en Belgique, semble ici être bannie des habitudes quotidiennes de la population. Très propre également, les métros affichent des consignes strictes. Interdiction formelle de boire, manger, mâcher un chewing-gum ou encore grignoter des noix sous peines d’amendes.
Contrairement au Japon, les métros à Taipei sont très bruyants. On y rit à gorge déployée, on y parle fort et on n’hésite pas à se saluer, même à l’autre bout du métro. Cependant, une donnée ne change pas. La plupart des Taïwanais ont les yeux rivés sur leur téléphone. Je ne peux les blâmer, je suis également scotché sur le mien, oubliant presque que je n’ai aucun forfait internet pour me repérer.
Ce n’est qu’une fois sorti de la station de Xinyi-Anhe que mon aventure a véritablement commencé, rythmée par le bruit de fond incessant provoqué par les fortes pluies. J’avais l’impression que l’on m’avait ôté mes sens. J’entendais, mais je ne comprenais pas. Je lisais, mais je ne comprenais pas non plus. La barrière de la langue était véritablement le premier obstacle que je devais franchir au plus vite.
Une fois installé dans mon hostel, je constate que je suis au moins trois heures en avance sur le check-in et, par conséquent, ma chambre n’est toujours pas prête. Après avoir laissé mon sac, Je suis parti en quête de découvertes, bien trop pressé d’explorer ce nouveau terrain de jeu. Je me rue sur le premier « restau » de rue de Taïwan.
Les odeurs me chatouillent rapidement les narines : poulet frit, dumplings, soupe de nouilles au bœuf, poisson grillé, etc. Tout ce que j’aime réuni en un seul endroit. Il s’agit ici d’un véritable buffet où l’on choisit sa viande/poisson, son accompagnement de légumes (principalement bouillis), ses hors d’œuvre (omelette aux huîtres et à la tomate, patates douces, soupes) ainsi qu’une portion de riz.
D’autres vendeurs de rues proposent, quant à eux, un choix restreint en termes de nourriture, mais sont également beaucoup moins chers. Certains font des poulpes frits, d’autres des dumplings ou encore des soupes de nouilles aux fruits de mer. Autant dire que tout est fait pour donner au gourmand que je suis toutes les envies de manger. Seul le fumet, ô combien écœurant, du « stinky tofu », me donne envie de vomir à chaque fois qu’il croise mon chemin. Il s’agit d’un bouillon dans lequel on rajoute des morceaux de tofu fermenté depuis quelques mois. Un incontournable pour les locaux, une odeur pestilentielle pour ma part. J’ai d’abord cru qu’une canalisation avait été sectionnée avant de me rendre compte qu’il s’agissait bel et bien de la nourriture d’un vendeur de rue. Cependant, la fatigue, le manque de vocabulaire et le temps exécrable ne me permettent pas de mettre à profit toutes mes envies d’exploration. Je décide alors de rebrousser chemin, peu de temps avant que ma chambre ne soit finalement prête.
Le « Space Inn » est une auberge de jeunesse sur le thème de l’espace. Les lumières roses et mauves donnent une allure de station lunaire, les portes émettent un « pschiiit » lorsqu’on les ouvre et les casiers ne se déverrouillent que via un badge en émettant un son strident tout droit sorti d’un jeu vidéo. Le gosse que je suis exulte. Après avoir pris une douche et déposé toutes mes affaires, j’ai tenté de faire la connaissance de plusieurs personnes au sein de mon hostel. Cependant, la barrière de la langue toujours présente, je n’ai pas réussi à établir une véritable communication avec elles.
Ils aimeraient bien que je me marie et que j’ai des enfants. Ils ne comprennent pas que l’on ait envie de voir d’autres choses, de voyager, de découvrir le monde avant de se poser pour de bon
Il m’a fallu attendre mon troisième jour avant de rencontrer Tsai, un Taïwanais de 28 ans avec un bon niveau d’anglais. Cheveux mi-longs noirs, sourire Colgate et la mine avenante, il m’a tendu sa main avec un « d’où viens-tu ? ». Passé les premières répliques de façades, la glace s’est rapidement brisée. Très spontanément, nous avons discuté très sérieusement. Rien n’aurait pu laisser penser que nous partagions les mêmes inquiétudes. Une donnée qui m’a été confirmée par la suite, la façade se brise rapidement à l’étranger. On ne parle pas pour épater l’audience ou chercher une forme de reconnaissance, on cherche à se rassurer en jouant directement cartes sur table avec notre interlocuteur. Tsai fait les trajets entre Londres et Taipei depuis plus d’un an déjà.
-Il y a plus d’avenir là-bas, m’explique-t-il, je travaille dans la finance et je gagne assez d’argent, plus que ce que je pourrais gagner ici.
-Cela n’a pas été trop difficile de s’installer là-bas ?
-Au début, j’avais du mal à joindre les deux bouts. Maintenant, ça va mieux. Je me prive un peu, mais c’est ce que j’aime faire. Cela m’a permis d’être plus indépendant, même si ce n’est pas ce qui préoccupe mes parents.
-Qu’est ce qui leur fait peur ?
-Que je sois loin d’eux. Ils auraient préféré que je trouve un petit commerce à reprendre pas loin de leur maison. Ils aimeraient bien que je me marie et que j’ai des enfants. Ils ne comprennent pas que l’on ait envie de voir d’autres choses, de voyager, de découvrir le monde avant de se poser pour de bon.
Nous avons échangé un regard complice avant de soupirer le sourire aux lèvres. Certaines attentes sont officiellement universelles, où que l’on se trouve sur cette terre. Nous avons pratiquement parlé pendant une heure avant que Tsai ne me quitte pour aller rejoindre des amis au restaurant. Un premier contact sincère et une conversation très enrichissante. Même à l’autre bout du monde, les préoccupations de Tsai résonnent encore dans ma tête.
Merci Sébastien pour ce super premier chapitre de ton voyage ! Même si l’amertume de ton départ est toujours à combattre, j’ai hâte d’en lire plus. I miss you !
Ca m’a trop donné envie d’approfondir, Taiwan et d’y aller surtout !!!!
reprendre mon back pack, allez à la rencontre des locaux ça c’est le kiff! hate de lire la suite 😉
Merci beaucoup André ☺ ça fait plaisir de lire ce genre de commentaires. Si tu as besoin de conseils sur Taiwan, n’hésite pas en tout cas! Je te les file avec plaisir!
1er chapitre lu. Bisous ta marraine