Azerbaïdjan

Chapitre 2 : Frontière floue

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Après avoir exploré Baku, je décide d’aller visiter d’autres contrées et de me prendre la route vers le nord-est, en direction de Quba. La première épreuve est de se repérer dans l’immense gare des bus de Baku. Cette dernière est très étrange, presque vide, à la limite de l’abandon. Heureusement, je parviens à me repérer grâce à des astuces lues sur internet. En effet, la gare des bus est située au troisième étage de cet étonnant complexe. Au moment où j’ai acheté mon ticket en ligne, je constate que je dois indiquer mon sexe. Cette donnée a une importance capitale lors de la désignation des places. Très souvent les femmes sont assises ensemble, et il en va de même pour les hommes. 

la gare des bus est protégée du soleil dans cet entrepôt mal éclairé

Après m’être perdu plusieurs fois, je sais désormais où attendre mon bus.

Comme à l’accoutumée, je me retrouve dans un bus, seul touriste à bord. Le voyage dure 2h30 et s’avère plus rapide que prévu. Au cours de mon périple, j’ai la chance d’être aidé par une dame qui me signale que pour aller en ville je dois payer un supplément au chauffeur. Sans autre indication, le chauffeur vous dépose à la gare des bus et poursuit son chemin comme si de rien n’était.

J’arrive enfin sur place, prêt à explorer mon nouveau terrain de jeu, mais avant tout, direction l’hostel pour déposer mes deux imposants sacs. L’endroit n’est vraiment pas ouf, les sanitaires sont tout simplement dégueulasses et font de la peine à voir. La porte de ma chambre ne ferme pas et ne possède aucune poignée de porte. J’hésite à partir, mais l’hôte est très sympathique. J’ai presque de la peine de lui dire que son établissement est miteux. Qu’importe, je décide de faire confiance et de laisser mes sacs. « Inshallah! »

Des sanitaires dégueulasses avec des murs rongés par l'humidité et la saleté des deux côtés

Une salle de bains à faire frémir les plus téméraires.

A peine sorti, mon estomac commence à crier ma famine. Je repère un stand de rue qui propose des “toyuq kebab”, à savoir un « kebab au poulet » avec  des morceaux de viande très bien assaisonnes, une tomate coupée en dés, des concombres, des oignons rouges, accompagnés d’une mayonnaise et de la coriandre ciselée. Je vois quelques sourires se dessiner lorsque je dis “sag ol”, ce qui signifie merci. Je continue à parcourir la ville, malheureusement, il n’y a pas grand chose à se mettre sous la dent.

une très belle habitation située dans le Red Village avec ses briques aux couleurs rouges-oranges.

Au sein du « Red Village », on peut apercevoir de jolies habitations.

Au cours de ma promenade, je tombe par hasard sur le “Qirmizi Qesebe », aussi connu sous le nom de « Red village”. Selon les croyances, le village « is believed to be the world’s only all-Jewish town outside Israel. » Quba a longtemps été une porte d’entrée pour de nombreuses communautés ethniques. C’est pour cette raison qu’au 18e siècle, des juifs habitant les montagnes ont décidé de s’atteler à la construction de ce village. 1916 est une date clé puisqu’elle est considérée comme étant l’apogée du « Qirmizi Qesebe ». A cette époque, environ 8.400 juifs habitent les différents bâtiments. On y dénombre également 13 synagogues. Actuellement, seules deux sont encore en usage et quatre autres ont été complètement détruites. L’ambiance y est très différente des autres quartiers. Très paisible, peut-être même trop calme. Les rues sont vides, les habitants semblent reclus chez eux derrière les grandes palissades et autres grilles. Est-ce à cause du conflit israélo-palestinien et des affrontements qui ont également lieu au Liban dans le courant octobre 2024 ? 

Pourtant, de par son histoire et ses racines chrétiennes et zoroastriennes (cette dernière est l’une des plus anciennes religions monothéistes fondée dans l’actuel Iran entre le 10e et le 6e siècle avant JC), l’Azerbaïdjan est un véritable terreau pour le multiconfessionnalisme. Ce respect et cette tolérance envers les différentes minorités ethniques et religieuses se ressent fortement. Les autorités post-soviétiques ont tout fait pour préserver cet important équilibre. Cependant, cet apparent calme est, bien entendu, très bien encadré par l’État. Celui-ci contrôle avec parcimonie les différents courants religieux et met tout en œuvre pour éviter les extrêmes et les courants qu’elle juge « déviants ». Sa stratégie est simple: « préserver les religions et courants majoritaires actuels (islam chiite et sunnite, christianisme orthodoxe) tout en maintenant un équilibre avec les minorités. » Cette politique rigoureuse permet la stabilité de cet équilibre, qui dans le monde actuel, est de plus en plus fragile. Pour aider à la compréhension générale et à la tolérance, l’État organise de nombreuses conférences et activités éducatives afin d’encourager la coexistence entre les différentes religions et courants. Bien que lui et la Turquie soient des « pays amis », l’Azerbaïdjan fait également très attention aux dérives provenant de ce territoire, ainsi que celles de l’Iran. Elles sont perçues comme déstabilisatrices et pourraient impacter le bon équilibre mis en place par le gouvernement.

Après m’être baladé pendant quelques heures, je décide de me reposer et de m’asseoir sur un banc dans un parc. Quand soudain, un homme s’approche de moi. Il baragouine quelques mots d’anglais, semble confus, et un peu “sale”. Il me demande avec une certaine confiance si je suis un touriste et d’où je viens. Je lui réponds Belgique. 

-Tu veux bien m’aider alors ? Me dit-il en me tendant la main.

-Attendez, attendez ! Lui signifiais-je en sortant mon téléphone pour lancer Google Translate.

Avant de lui serrer la main, je veux savoir dans quoi je m’engage. Il me questionne alors en me demandant si je “suis de la police”. Je lui réponds que non. C’est alors qu’il sort de sa chaussette un carré d’aluminium. “Putain, c’est de la drogue. Fais chier, pourquoi ça n’arrive qu’à moi !?”. Il ouvre alors l’emballage et en extrait deux vieilles pièces.

-Elles sont de l’époque de Ptolémée ! Me jure-t-il en regardant derrière lui.

Il me supplie alors de l’aider à les vendre. Je lui dis que je ne suis pas certain de comprendre où il veut en venir. Il réquisitionne mon téléphone et inscrit son numéro. Il me le rend ensuite et me dit de prendre des photos des pièces.

-Quand tu reviens en Belgique, tu pourras les montrer à un potentiel acheteur, et là on fait 50-50.

En effet, il existe bel et bien un marché pour ce genre d’objets. Une pièce peut se vendre pour environ 550 euros. Sauf que le type me parle de milliers de dollars américains.

une pièce arborant un rapace est déposée dans ma main

Je prends une photo de la pièce pour faire plaisir à mon interlocuteur.

Il poursuit ensuite:

-Ici, la police risque de me tomber dessus…

-Je ne suis pas certain de comprendre où vous voulez en venir… Répliquais-je perdu.

L’homme me tend alors la main une seconde fois. en ajoutant :

-Maintenant il va falloir faire attention à la police et aux bandits. Toi et moi on est dans le même bateau.

Je garde mon calme, sourit, et lui dit que je vais y réfléchir.

-De toute façon, j’ai votre numéro. Je peux vous appeler si besoin.

Il acquiesce bêtement et veut ensuite m’inviter à prendre le thé, mais je refuse. Une fois parti, je quitte le parc, bloque son numéro en espérant ne plus le recroiser. Décidément, voila ma première interaction étrange en Azerbaïdjan.

En soirée, je me mets en quête de quelque chose à manger. Malheureusement pour moi, il n’y a principalement que des aliments frits dans l’huile ou des kebab à tous les coins de rue. Il s’avère compliqué de trouver de la variété dans les endroits un peu moins touristiques. Par contre, les prix sont tellement dérisoires en comparaison avec Baku que ça permet de contrebalancer la mini déception qui grandit en moi.

le coffre d'un car dans lequel on peut voir mon grand sac à dos rouge et noir

On remet son sac à l’arrière du bus pour un retour à la case départ !

Je souhaitais aller explorer les montagnes, malheureusement un pont a cédé avec les récentes pluies qui se sont abattues sur la région. Je suis dès lors contraint de retourner sur Baku pour me diriger ailleurs. Etant très loin du centre-ville, je décide de prendre un hôtel à proximité de la gare des bus. Dans mon hôtel, je fais la connaissance de Tyler, le réceptionniste. Il repère mon grand sac à dos et commence à me poser plein de questions sur mon voyage. Il m’explique avoir, lui aussi, « backpacké » en Serbie et en Géorgie, deux pays qu’il a adoré. Il m’explique détester son job de réceptionniste et qu’il n’a qu’une seule envie c’est de mettre de l’argent de côté et de se remettre à voyager. Il me demande alors des conseils, lui qui est désireux de faire de l’argent facile. Pour lui, une des solutions est de se tourner vers le Bitcoin et d’investir dans la cryptomonnaie pour pouvoir s’en tirer. Je lui dis que si ça marche tant mieux pour lui, mais que ce n’est clairement pas mon délire. Nous échangeons nos numéros de téléphone afin de rester en contact.

Le lendemain, au moment de faire mon check-out, je cherche Tyler. Je ne le vois pas derrière le comptoir. Je lui envoie un message afin de lui souhaiter « bon courage« . Il m’avouera quelques jours plus tard avoir démissionner de son boulot afin de « vivre sa vie à 100 à l’heure ». Prêt à tout pour commencer un nouveau chapitre le Tyler ! Well played!

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