Les alentours de Yogyakarta sont déroutants pour moi. Je ne compte pas le nombre de jeunes enfants que je vois jouer dans la rue. “Ils ne sont pas à l’école ?”, me questionnais-je sans véritablement réfléchir. Dans ces étroites rues, on sent que la population vit différemment. Les priorités sont ailleurs et ne sont décidément pas les mêmes que chez nous en Europe. Nous sommes des privilégiés, faut-il encore le rappeler. Je m’étonne parfois de voir des gamins sur des scooters. Ils n’ont pas plus de 12 ans et conduisent déjà à toute allure dans les ruelles.
L’éducation reste encore un challenge de taille pour ce pays de plus ou moins 265 millions d’habitants en 2018. Il est le quatrième endroit le plus peuplé au monde et son étendue (plus de 17.000 îles !) ne rendent pas l’uniformisation évidente. Ce n’est pas moi qui le dit, mais un rapport détaillé de la Banque Mondiale. Ce dernier affirme que “55% des Indonésiens qui ont terminé l’école sont parfaitement illettrés contre seulement 14% au Vietnam” Et parmi la minorité qui parvient à terminer l’école secondaire, on constate que “le pourcentage d’Indonésiens de plus de 25 ans qui ont atteint au moins le niveau bachelier en termes de diplôme ne dépassait pas la barre des 9%, soit le taux le plus bas parmi les membres de l’ASEAN (Association des Nations de l’Asie du Sud-Est, dont le secrétariat général est situé à Jakarta).” La faute au gouvernement qui n’alloue pas un budget suffisant pour développer l’éducation. En 2015, ce dernier ne consacre que 3,6% du PIB à cette importante problématique. En comparaison, à cette même période, en Belgique il était à 6,55%.
Des progrès ont bien été constatés, les années d’études pour les personnes âgées de moins de 25 ans ont doublé depuis les années 80. Cependant, une certaine stagnation se fait ressentir. Ce n’est pas que du désespoir qui anime le plus grand archipel du monde, c’est aussi la volonté d’aller de l’avant. C’est un rôle majeur que ce dernier va devoir jouer en termes d’éducation. Ce pays est de loin, celui qui possède le plus d’étudiants potentiels au sein de l’ASEAN. “Il est également le troisième pays à comporter la plus grosse proportion de personnes de moins de 25 ans dans le monde entier. Plus de 117 millions de personnes en 2017. (…) Plus de 40% de la population indonésienne est âgée de moins de 25 ans, approximativement 27% d’entre elle a moins de 15 ans.”
C’est déjà notre dernière nuit sur Yogyakarta, nous sommes censés partir demain. Je ne m’avoue pas vaincu et relance mes matchs Tinder. Je parviens finalement à mes fins en proposant à Amel de se rencontrer. Il se fait tard, qu’importe ! Nous sommes sur la même longueur d’onde: échanger quelques heures de plaisir avant de repartir chacun de son côté. L’un de mes potes me recommande un motel qu’il avait déjà repéré en cas de succès. Je le remercie alors qu’ils rentrent tous les deux à l’hôtel. En effet, notre chambre est très exiguë, avec un lit double et un lit simple presque côte à côte. Impossible de la ramener là-bas de toute manière. Par conséquent, je me dirige vers ledit motel et y retrouve Amel. Elle a 28 ans et habite sur Yogyakarta depuis plusieurs années déjà. Autant dire qu’elle connaît bien le quartier et ses alentours. Tout s’enchaîne ensuite très vite. Un regard, un sourire, une accolade, quelques mots échangés. Elle est rassurée, je ne suis pas un psychopathe et je suis soulagé elle est mieux que sur ses photos.
-On loue une chambre alors ?, me lance-t-elle en toute simplicité
-Ouais, je pense que c’est le meilleur plan, répondis-je
-Vas-y toi, je suis gênée, insiste-t-elle
-Mais ne t’inquiète pas, assurais-je naïvement, viens !
Nous pénétrons dans l’établissement et nous retrouvons déjà nez à nez avec le réceptionniste. Il nous dévisage de haut en bas avant de me demander dans un anglais approximatif ce que je voulais.
-Je souhaiterais louer une chambre pour deux, annonçais-je avec assurance
-Vous êtes mariés ? Rétorqua le type
-Non, mais c’est ma copine, affirmais-je
-Je suis désolé, mais je ne peux pas vous louer une chambre
-Pardon ? Mais pour quelle raison ?
-Allez ailleurs s’il vous plaît et quittez les lieux
Je vois Amel rougir et s’esquiver en sortant directement. Je la rejoins et lui demande comment elle se sent.
-Ce n’est pas commun ici, m’explique-t-elle, en particulier lorsqu’il s’agit de filles d’ici avec des étrangers
Je suis effectivement dans un pays à majorité musulmane, les règles sont différentes et je les avais presque oubliées.
-Tu as un plan B ? ajoute-t-elle
-On peut toujours tenter mon hôtel, mais je ne sais pas si ça marchera…
Pour retourner à “ma résidence”, nous devons emprunter la rue commerciale. Tous les regards des locaux sont tournés vers nous. Je les entends chuchoter et commenter en bahassa indonésien pendant notre passage. Une voix s’élève alors et scande une phrase incompréhensible. Amel se retourne et réplique de plus belle. “Continue à marcher”, insiste mon date. Elle continue ses invectives et presse le pas alors que plusieurs voix d’hommes s’élèvent.
-Que se passe-t-il ? Ils t’ont fait des remarques, la questionnais-je alors que nous arrivions près de l’hôtel.
-Ils me disent que ce n’est pas une heure pour être dehors toute seule. Ils prétendent que je devrais être chez moi, que je suis une traînée
Je reste choqué par tant de jugements en aussi peu de temps. “Ce n’est rien”, murmure-t-elle, “allons dans ton hôtel”.
Je rentre le premier dans l’établissement dont les portes étaient encore grand ouvertes. C’est une aubaine, le réceptionniste ronfle dans une petite pièce à côté de la réception. Je fais un signe de la main à Amel et lui demande de me rejoindre. Nous gravissons les marches sans faire le moindre bruit et nous atteignons le troisième étage. Nous sommes juste en face de ma chambre, mes potes sont encore réveillés, il me semble entendre des voix étouffées provenant de l’intérieur. Je me dirige vers la chambre d’à côté et décide de tenter un coup de poker. Je n’ai vu personne y entrer depuis plusieurs jours et je me dis qu’avec un peu de chance, la porte n’est pas verrouillée. Bingo ! La poignée de porte ne résiste pas et nous nous faufilons à l’intérieur.
-Comment tu te sens ? Demandais-je à Amel
-Je vais bien, ne t’inquiète pas. Ce genre de remarques ne m’atteint pas. Je ne connais pas ces gens et je n’accorde aucune importance à leur jugement. Je sais qui je suis et ce que je vaux.
-Tu as bien raison, lui confirmais-je, est-ce que la situation est souvent comme ça ?
-Non, pas du tout. Ils ne sont juste pas habitués à voir des locaux de mêler aux touristes comme ça. Ils ont peut-être cru que j’étais une prostituée
-Tu ne ressembles pas du tout à une prostituée, la rassurais-je en passant ma main sur son épaule
Je ne sais pas si c’était le signe magique, mais nos lèvres ont fusionné et une série de baisers langoureux se sont échangés. Nous avons passé quelques heures dans cette chambre avant que je rejoigne discrètement mes potes en plein milieu de la nuit. Il devait être 4h30 et nous devions quitter les lieux à 7h. J’ai laissé Amel sur le pas de la porte. “Tu ferais mieux de rester en haut, ça serait con que l’on nous surprenne ensemble. Et puis, on n’est pas mariés, je te rappelle”, sourit-elle. J’éclate de rire et la remercie pour ce moment partagé. Une fois de plus, j’aurai noyé mes pulsions dans une relation intéressante. Une nouvelle expérience avec une personne ayant un background totalement différent du mien. Une âme que je n’oublierai probablement jamais.