En optant pour le “slow-travel”, nous avions décidé de prendre notre temps pour rejoindre Bali, en passant par Lombok, West Nusa Tenggara et l’île de Flores. Notre arrivée sur cette dernière s’est fait sans encombres. Un avion, quelques heures à peine de vol et nous voilà presqu’au paradis. Un décor de carte postale, mais une rue commerçante en chantier, des magasins de plongée de tous les côtés et des prix plutôt élevés pour l’Indonésie. A peine arrivé, nous décidons de nous faire plaisir. Nous réservons une excursion afin de profiter de plusieurs îles et de faire du snorkelling. Après avoir négocié, nous obtenons le “prix d’ami” du commerçant et nous embarquons dans une traversée complètement folle.
Le bateau à moteur dans lequel nous étions entassés à bien failli chavirer à plusieurs reprises. Le “capitaine” si l’on peut l’appeler ainsi, fonçait à tête baissée face aux vagues déchaînées qui terminaient leur course effrénée dans notre embarcation de fortune. Plusieurs personnes présentes sur le bateau étaient apeurées. Je dois bien avouer que je n’étais pas à mon aise non plus. Le spectacle était fantastique tout au long de la visite, mais le manque de prudence et l’inconscience de notre guide nous auraient conduit tout droit à un drame. C’est là que j’ai réalisé que les conditions de sécurité étaient totalement aux antipodes des nôtres. Si ça passe, ça passe ! C’est un peu la mentalité indonésienne, on tente le tout pour le tout, malgré le danger, tant que ça fonctionne, aucun souci, aucune remise en question.
Après notre séjour à Flores, nous avons pris le ferry pour nous rendre à l’ouest de Nusa Tenggara. Une traversée de 4 à 5 heures sur un rafiot pas très sécurisé, qui tangue de gauche à droite, avec des vendeurs de “mie goreng” (nouilles frites), pré-emballées et toutes déshydratées, qui vous proposent d’acheter plusieurs fois leur nourriture durant la traversée. La situation est risible, mais est tellement marquante sur le moment-même. Les nombreux déplacements que nous avons fait en Indonésie font partie intégrante de mon expérience et je pense qu’ils ont véritablement façonné mes souvenirs et ma ténacité. Nous arrivons enfin à Sape, sur l’île de West Nusa Tenggara où nous sommes dévisagés de haut en bas. Les touristes n’y viennent pas très souvent et nous faisons l’objet des discussions des locaux. Nous parvenons à trouver un hôtel avec une chambre pour trois. Un lit double et un matelas au sol avec une douche à faire pâlir les plus téméraires. Bien entendu, avec le peu de budget que nous souhaitons consacrer à nos logements, nous ne pouvons pas nous plaindre. Il faut dire que nous n’avons pas encore eu une seule douche chaude depuis nos retrouvailles en Indonésie. C’est très rudimentaire, mais cela nous suffit amplement. Le lendemain, les négociations avec les locaux commencent. Nous devons nous rendre à la station de bus et il n’y a pas de transport en commun, ni taxis, ni « Go Jek ». Nous finissons par trouver un accord avec trois Indonésiens qui nous prennent chacun sur leur scooter avec nos sacs sur le dos. Ils se faufilent comme des acharnés sur la route, évitant les nombreux trous, frôlant les autres véhicules, klaxonnant à tout va pour signaler leur intention de prendre la priorité ou de dépasser les plus lents. Autour de nous, les gens nous observent avec des yeux écarquillés. J’ai l’impression d’être une tête couronnée en plein défilé de la fête nationale.
Après quinze minutes d’angoisse, nous parvenons à la station de bus. Délabrée, avec des véhicules remplis de rouille, pas de guichets, sans aucune indication, nous sommes véritablement dans un autre monde. Après plusieurs longues minutes d’attente, nous embarquons à bord d’un vieux bus durant dix heures. Une traversée jouant avec nos nerfs, tous serrés les uns contre les autres, sans aucune porte, de la musique techno indonésienne, des clopes et encore des clopes fumées tous les quart d’heures par les autres passagers. Un véritable supplice ponctué par un pneu crevé, des accidents évités de justesse et des arrêts fréquents. Ce trajet restera probablement dans les annales en ce qui me concerne.
Une fois arrivés à notre destination, Sumbawa Besar, complètement lessivés, nous tentons en vain de trouver un hôtel, mais ce n’est pas notre jour de chance. Après plusieurs tentatives, nous tombons sur un établissement qui nous propose une chambre pour 3 sauf qu’à l’intérieur il n’y avait qu’un lit double. Je finis par me résoudre à en prendre une pour moi afin de passer une nuit reposante. Je crois n’avoir jamais mis les pieds dans une chambre aussi répugnante. Un matelas avec un oreiller sans draps, un petit ventilateur couvert de poussière, des murs qui suintent l’humidité, une « salle de bains » remplie de cafards, dont le sol s’est affaissé et risque de s’effondrer.
Afin de nous remettre de nos émotions, nous partons en quête de nourriture. Nous parvenons à acheter des paquets de nouilles juste avant la fermeture du magasin du coin. Des enfants dans la rue nous suivent, essayant de nous questionner, mais nous ne comprenons pas un traître mot de ce qu’ils disent. De retour à l’hôtel, la déception grandit, il n’y a aucune bouilloire. Je me décide d’aller mendier dans un commerce voisin pour nous verser un peu d’eau chaude dans les boîtes en carton contenant les nouilles. Le destin continua de s’acharner car la nuit ne fut pas de tout repos. Un cortège de voitures nous empêcha de dormir. Plusieurs personnes s’étaient garées devant la chambre d’une femme légèrement vêtue et attendaient patiemment leur tour pour rentrer, un à un, à l’intérieur (de qui ou de quoi ? Je vous laisse méditer là-dessus). Décidément, cette journée de l’enfer ne voulait pas se terminer.
Le repos ne fut que de courte durée car à cinq heures du matin, le mausolée de la mosquée du coin (et des alentours) s’est mis à résonner pendant de longues minutes. Le Ramadan vient de commencer et l’appel à la prière se fait plus régulièrement et surtout très tôt en matinée. Il va falloir donc faire avec et investir dans de bonnes boules quiès, sans hésitation. Les murs sont plutôt fins en Indonésie, le simple vitrage également et il est impossible d’ignorer l’appel à la prière, même lorsque l’on a un sommeil plutôt lourd. Et il faut dire que la suite de notre voyage va être considérablement impacté par le Ramadan. Tout d’abord, les commerces ferment beaucoup plus tôt. En effet, pour la rupture du jeûne, les horaires sont bouleversés et certaines échoppes restent complètement abandonnées dès la fin de l’après-midi. Trouver des bières n’est évidemment pas le simple, voire presqu’impossible. Il existe tout de même des “résistants” qui planquent des bouteilles d’alcool et qui les revendent sous le manteau. Après les journées éprouvantes que nous avions vécu, nous souhaitions profiter de quelques boissons dorées. Impossible de mettre la main dessus ! Il n’y a pas d’alcool dans les magasins et épiceries du coin. Par dépit, nous décidons de demander conseil à un chauffeur de taxi. Ce dernier nous dit connaître un “gars” et nous arrête sur le bord d’une route. Il me demande de le suivre dans un petit cabanon et je questionne mes potes:
-Combien de bières vous voulez les gars ?
-Prends en 9 ! Trois chacune stp !
-Okay, ça roule !
Mais voilà, nous étions trop optimistes. L’homme me regarde estomaqué et me dit qu’il n’en a que trois. Et au vu de son regard, je comprends déjà qu’il risque gros à garder de l’alcool. J’accepte bien évidemment et les achète au prix fort. Retour au temps de la prohibition, on n’a pas trop le choix. Et ce type d’aventures nous arrivera plus d’une fois. Je me souviens d’une nuit où nous sommes montés avec l’un de mes potes sur le scooter d’un réceptionniste qui nous a conduit chez l’un de ses potes afin de faire quelques provisions de « binouzes ». Un moment épique et surtout un souvenir cocasse de ce séjour. Sur ce santé !