Canada

Chapitre 2 : Tout feu, tout flamme !

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Après avoir suivi les conseils de mon pote, je me rends vers 19h aux urgences. Une fois sur place, très peu d’explications, mais je repère une borne avec écran. Je constate deux options: « triage » et « revoir l’infirmière ». Je suppose que je dois sélectionner « triage » et appuie sur l’écran tactile. Un ticket s’imprime avec un numéro. Je m’assieds et zieute aux alentours en espérant repérer un quelconque écran affichant l’ordre de passage. Je ne vois rien et décide d’interroger une dame assise à côté de moi. Elle me répond que quelqu’un appellera mon numéro au moment venu. Je la remercie et observe la salle d’attente. Celle-ci est déjà pleine à craquer, il y a au moins une quarantaine de personnes.

ticket pris aux urgences du CHUM Montreal affichant le numéro A171

Le début d’une longue attente…

Trente minutes plus tard, je suis appelé pour le premier triage dans une pièce. Je me retrouve face à une infirmière qui me demande quels sont mes symptômes et l’intensité de ma douleur. Je lui explique que j’ai une douleur abdominale et un sentiment de brûlure intense. L’infirmière m’interrompt, elle a déjà assez d’informations. Elle m’invite à retourner dans la salle d’attente. A force d’observer mon environnement, je tombe sur un panneau affiché sur le mur. Celui-ci va déterminer les règles du jeu. 

une affiche collée au mur fait état de plusieurs codes couleurs qui déterminent la sévérité et le degré de l'urgence

Les différents codes couleurs sont probablement apposés à nos dossiers lors du premier triage.

45 minutes plus tard, on m’appelle pour une seconde évaluation. Celle-ci aura lieu dans une autre pièce. Cette fois-ci, je suis face à une autre infirmière qui me demande un peu plus de détails quant à ma situation. Quand les symptômes ont-ils commencé ? Que s’est-il passé ? Quelle est ma douleur en ce moment ? Je retourne en salle d’attente avant d’être une nouvelle fois rappelé pour effectuer un test Covid-19 foireux. Le coton tige effleure à peine l’entrée de mes narines, il ne traverse même pas l’intérieur de mon pif ! 

Vers 22h30, je suis demandé au guichet pour finaliser mon “inscription”. La bonne femme derrière son aquarium est désagréable au possible. Elle me demande ma RAMQ (régime public d’assurance médicaments) qui est symbolisée par une carte, similaire à une carte de mutuelle. Elle permet de bénéficier de différents services sans devoir payer. Mais voilà, je ne l’ai pas en ma possession puisque je suis arrivé il y a à peine deux jours. Les résidents temporaires (ce qui est mon cas avec mon working holiday visa) doivent remplir certaines conditions pour prétendre à la RAMQ. Je lui dit que je n’en ai pas, mais je possède une assurance privée.

Le montant s’élève à près de 1.000 dollars. Mais bon, je suppose qu’en l’état vous n’avez pas de quoi assumer ces frais…

La mégère me demande alors quel est mon emploi. Je lui réponds que je n’en ai pas encore vu que je viens d’arriver au Canada. 

-Comment ça se fait que vous avez un permis de travail, mais pas d’emploi ? Pourquoi vous venez alors ? Me lance-t-elle.

-Parce que ce visa m’autorise à voyager et à travailler quand je le souhaite pendant un an ! Rétorquais-je.

-Vu que vous n’avez pas de RAMQ, vous allez devoir payer la consultation. Le montant s’élève à près de 1.000 dollars. Mais bon, je suppose qu’en l’état vous n’avez pas de quoi assumer ces frais…

-Si, si ! Je peux le payer ! Lui répliquais-je, quelque peu estomaqué par son attitude présomptueuse

-Ha… Okay, je vais chercher la machine.

-Connasse, Grommelais-je entre mes dents.

un reçu de caisse provenant des urgences

Les triages et le traitement administratif : la facture la plus salée jamais enregistrée !

Le terminal devant moi affiche 999,14$, à savoir près de 800 euros ! Je tombe des nues. Je commence à psychoter car je me souviens avoir lu que mon assurance internationale ne remboursait que les frais liés aux maladies apparues au Canada et non celles qui ont débuté en dehors du pays. Ce qui est malheureusement le cas de mon soi-disant RGO. Elle récupère ensuite tous mes documents et se dirige vers la photocopieuse. Au même moment, un jeune homme arrive au guichet d’à côté, T-shirt enroulé autour de sa tête, des filets baveux de sang s’écoulent le long de son visage. Il explique à son interlocutrice qu’on lui a conseillé de venir directement au guichet car il perd beaucoup de sang et se sent faible. La connasse de service se ramène et lui demande s’il a pris un ticket. Le pauvre type lui répond qu’on lui a dit de venir directement ici car il se sentait faible. “Oui, oui, on va voir ça, mais en attendant vous prenez un ticket et vous allez vous asseoir.” Ce manque d’humanité et de considération me va déjà loin. Elle m’enroule ensuite un bracelet muni d’un code-barre autour du poignet et me demande de retourner m’asseoir. Une belle marchandise en attente de son jugement.

Mon téléphone affiche déjà 23h. C’est à ce moment-là que l’attente commence véritablement. Plusieurs personnes passent devant moi, peu importe leur heure d’arrivée, mais j’imagine en fonction de l’urgence de leurs cas. Pris d’ennui, j’entame la discussion avec un couple de sexagénaires français après avoir entendu qu’ils étaient arrivés à 14h !

-Nous n’avons toujours pas vu de médecin ! M’annoncent-ils tout penauds. 

Tout comme moi, ils ont eu droit aux deux premiers triages et un test Covid-19. Nous restons alertes pour saisir ce qu’il se trame. Nous comprenons ensuite qu’il n’y a plus que deux médecins disponibles. Ces derniers jonglent entre les personnes dans le département “civière” et ceux de la salle d’attente. Malheureusement, l’attente est interminable car le rythme se réduit extrêmement. Dans la salle, les gens réagissent tous différemment. Certains se murent dans le silence, d’autres souffrent en gémissant bruyamment, certains picolent même et vomissent à leurs pieds. Des gardiens de sécurité font leur ronde, prêts à rappeler à l’ordre les “malades” que nous sommes. “On ne prend pas deux sièges pour dormir, on se tient droit, on est “bien élevés”, on ne fait pas trop de bruit”. Selon un ami qui habite Montréal depuis 6 ans, des expériences malheureuses avec des sans-abri ont nécessité l’intervention de gardes. C’est pour ça qu’il y en a autant pour nous “surveiller”. J’en compte au moins six pour toute la salle d’attente.

J’avais prévu le coup en prenant ma Nintendo Switch et un bouquin pour m’occuper, mais je commence à désespérer. Impossible de trouver le sommeil car mon estomac me fait très mal. Vers 3h du matin, j’ai droit à une troisième évaluation. Je rappelle encore une fois mes symptômes à un nouvel infirmier. Il me remettra l’équivalent d’un Gaviscon. Le médicament est apprécié et soulage cette douleur lancinante qui me trifouille l’estomac depuis des heures.

selfie en blouse d'hôpital, la mine fatiguée

Je suis enfin prêt pour une auscultation. Il était temps !

Cependant, à peine trente minutes plus tard mon mal s’accroît de nouveau. La douleur, la fatigue et la frustration se mélangent, me rendant nerveux et à cran. Je devrai attendre 10h le lendemain pour être enfin reçu. Une nouvelle infirmière m’ausculte, me redemande l’historique de mes symptômes et me donne un Maalox. Malheureusement, j’obtiens le même résultat qu’après le premier médicament administré: cela passe puis reprend de plus belle. On me propose alors une prise de sang. J’attends encore trente minutes dans une salle différente, les yeux rougis, l’esprit hagard. Une fois celle-ci faite, on me dit qu’on va me faire une gastroscopie.

bras tendu pour montrer la prise de sang qui vient d'être faitz

Une prise de sang pour vérifier d’où vient ma douleur.

Je repars dans la salle d’attente. Il est 11h30 lorsqu’on m’appelle une seconde fois. Je suis reçu par une étudiante en gastroscopie. Elle me demande un récapitulatif complet de ma situation. Encore une fois ! Je ne m’énerve pas et lui explique calmement tout ce qu’il m’arrive depuis la Belgique . Elle me redirige vers la salle d’attente. Je n’en peux plus. Finalement à midi, je suis rappelé. Cette fois-ci, le médecin sera mon interlocuteur, accompagné de son étudiante. Selon lui, ma pression artérielle est excellente, ma prise de sang également. Il en déduit que je souffre d’un ulcère et qu’il n’est pas nécessaire d’effectuer une gastroscopie. Il me recommande un traitement de deux mois, qui sera dégressif, et me tend une ordonnance. Le médecin m’explique ensuite que la facture me sera envoyée car la consultation du spécialiste n’est pas incluse dans les 999,14$ que j’ai déjà payé. Oh quelle bonne nouvelle ! Il m’explique ensuite qu’on va me donner un médicament, mais que je vais devoir patienter. Après 15 minutes, j’interroge un membre du personnel qui me dit que je l’aurai dans une heure. C’en est trop ! Je quitte l’hôpital et me rend en direction de la pharmacie la plus proche. Je réalise seulement que je suis resté 17h aux urgences !

liste des coûts excessifs dans le domaine de la santé

Des tarifs à peine croyables, qui font froid dans le dos !

Comment est-ce possible ? Le système de santé canadien est totalement différent du nôtre et une véritable pénurie de personnel explique en partie la lenteur des services qui sont administrés. La priorité de l’urgence va déterminer l’ordre de passage de chaque “malade”, et bien entendu cela varie en fonction de la disponibilité du personnel. C’est deux éléments combinés entraînent des temps d’attente incroyables. Les Canadiens assurés ont droit à des consultations gratuites et une prise en charge de certains services, sauf certaines exceptions comme les frais dentaires ou optiques. Il existe aussi des “walk-in clinic” qui fonctionnent sur le principe du premier arrivé, premier servi. Cependant, elles sont souvent complètes et souffrent des mêmes problèmes que les urgences. Ceux qui ne veulent pas attendre peuvent passer par une clinique privée dont les coûts sont encore plus élevés que ceux auxquels j’ai fait face lors de cette nuit aux urgences. En outre, certaines cliniques n’acceptent pas de patients qui n’ont pas de médecin de famille, une sorte de Graal qui n’est pas accessible à tout le monde. Il y a des listes d’attente pour en trouver ! “Vous pouvez chercher vous-même un médecin de famille en téléphonant dans les cliniques médicales ou les groupes de médecine de famille (GMF) situés près de chez vous pour vérifier s’ils acceptent de nouveaux patients.” Au Canada, la santé a un prix et n’est clairement pas accessible à tout le monde.  Autant les médecins et infirmières que j’ai rencontrés sont humains et sympathiques, mais le système de triage est horrible, inhumain et épuisant.

Jésus lors du chemin de croix

Mon sentiment en sortant de la clinique…

A 19h, je serai dans mon lit, au bout de ma vie, mais avec en poche des médicaments pour soigner mon ulcère. La seule bonne nouvelle de la journée !

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