Nouvelle-Zélande

Chapitre 3 : Poudreuse à Auckland

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Cela paraissait trop beau pour être vrai. Savoir parler un bon anglais, un salaire à 20$ de l’heure avec des avantages évolutifs, des possibilités de voyage, aucune expérience requise, un travail d’équipe et le moyen d’être indépendant, cela fait beaucoup pour un simple job de backpacker. Pourtant, comme n’importe quel autre pigeon, j’ai plongé lorsque j’ai vu l’annonce et ai balancé tout ce que j’avais en moi pour pondre la lettre de motivation la plus intéressante et qui accrocherait le plus vite leur attention.

Dear Madam, Sir,
Are you looking for a motivated and gentle individual that could help you to reach your goal ? Let me introduce myself, I’m a 30 year-old male from Belgium. Always looking for new challenges, i would be keen to join your team. As you may have seen from my resume, i used to work in different kind of fields. All those experiences made who i am today : a highly motivated story-teller with enough confidence to face new challenges. I’m also a fast-learner and love team work. Those two aspects interest me the most in your job description. I have already got a job at the moment but i will be ready to start ASAP if you give me that opportunity.

Please feel free to contact me for any other information.
I am looking forward to hearing from you soon.
Kind Regards« 

Leur réponse ne se fait pas attendre, en quelques minutes à peine, je reçois une invitation à me présenter à un entretien quelques jours plus tard. Cette bonne nouvelle me met en appétit et je commence à penser à un discours pour recueillir leur approbation afin qu’ils viennent me manger dans la main. Ma confiance en moi déborde de toutes parts, peut-être trop, mais qu’importe, vaut mieux trop que pas assez dans ce type de job pensais-je.

La première réunion est formelle, nous sommes une dizaine installés autour d’une table de conférence. On nous explique brièvement quelle va être notre mission, il va falloir vendre des contrats d’énergie (gaz et électricité) en faisant du porte à porte dans des quartiers aux alentours d’Auckland. La mission semble compliquée et je commence à douter un peu de moi, mais mon assurance me permet d’attirer l’attention face à des jeunots de 18 ans qui viennent de débarquer en working holiday et peinent à comprendre l’accent des Néo-Zélandais. Je vois les yeux de Rebecca, une des responsables, s’illuminer durant mon discours. Ses lèvres pulpeuses et ses seins siliconés sont en émoi, ils pointent. J’ai touché une corde sensible. Son acolyte, Bertrand, était le genre de mec à balancer des “sweet as”, “cool bro”, “get it boy” à tout bout de champ, illustrant sa vacuité d’esprit.

La formation se poursuit ensuite avec ses pré-requis. Pour avoir un salaire assuré, nous devons vendre un minimum par semaine. Au plus on vend, au plus on gagne évidemment. Devenir un bon vendeur nous permet de devenir chef d’une équipe. Par la suite, si notre équipe fait un bon score, on peut devenir responsable d’un quartier. Cette hiérarchie me semble familière, il s’agit bien évidemment d’un système pyramidal. Je suis déjà moins chaud, mais j’essaye de rester réaliste. J’ai besoin d’un job et d’argent de toute manière. L’achat du van est tout de même un sacré trou dans mon budget et je me dois de le combler de toutes les manières possibles, il faut que j’obtienne ce job. Une fois la réunion terminée, je repars tranquillement vers mon van garé plus loin et je reçois un texto me prévenant que je fais partie de l’équipe. Le rendez-vous a lieu demain à 9h, il va falloir que je m’organise pour trouver un endroit où dormir à proximité et surtout un endroit où pouvoir me doucher. A la différence de travailler en champs ou dans les fermes, avoir du look et être propre sur soi est requis. Impossible de me présenter sans m’être lavé et habillé comme un baraki, il fallait une chemise et un jeans. Chaque matin, je me levais, marchait jusqu’à la bibliothèque avec mon sac à dos, m’introduisait dans les toilettes et faisait ma toilette en fermant la porte à clé. Pénible, stressant et parfois humiliant, je devais pourtant m’y accoutumer.

Le boulot quant à lui n’était vraiment pas à mon goût. Chaque matin, nous avions une formation sur comment vendre les produits, expliquer les forces et faiblesses de ces derniers et comment utiliser l’application sur les Ipads qu’on nous fournissait. Un système assez complexe qui me forçait à me balader avec des notes dans mes poches pour ne pas oublier le fonctionnement de celui-ci. Nous faisions ensuite une répétition de nos speechs avec différentes situations. Par exemple, lorsqu’un client est occupé, qu’il ne veut pas répondre ou qu’il dit qu’il n’est pas intéressé. Cet exercice était sensé nous apporter de la confiance et nous booster pour la journée. Ensuite, direction au supermarché pour acheter un lunch avec Karl, notre chef d’équipe. Jamais de ma vie, ô grand jamais, je n’ai vu quelqu’un d’aussi speed que lui. Sur-cocaïné au possible, un débit de paroles incessant, une manière de conduire sèche et saccadée, une facilité et une propension à l’énervement, ses expressions n’étaient que binaires soit une explosion de joie ou une crise de colère. Cheveux plaqués en arrière, chaîne en or, Karl est un Australien qui était venu travailler pour la boîte d’énergie qui m’employait. Il avait fait ses preuves “down under” et venait maintenant tenter de conquérir le territoire néo-zélandais. Constamment sur son téléphone, même en conduisait, ce type était un danger public. Parmi mes compagnons, certains l’adoraient, voire l’adulaient, d’autres le détestaient tout autant que moi.

Vous ne voulez quand même pas dépenser le peu de pensions que vous avez dans de l’électricité hors de prix ? Comme ça quand vos petits-enfants débarquent chez vous, ils peuvent enfin brancher leurs téléphones et consoles sans vous ruiner

Une fois largué dans notre « tier-quar », nous avions un tracé à respecter avec comme consigne de sonner/frapper à toutes les portes. Un tableau sur lequel on indiquait les refus, les call-back (« mon mari rentre à 17h, passez à ce moment-là« ), ainsi que les contrats vendus. Plusieurs expériences m’auront marqué, notamment mon premier jour de formation avec Karl qui méprisait les gens qui ne savaient pas parler un bon anglais et leur hurlait dessus “On va vous laisser bande d’enfoirés, oui, oui c’est ça passez une bonne journée. Crétins!” Ce gars était juste une merde et n’hésitait pas à utiliser l’intimidation pour parvenir à ses fins. Technique de vente ? Non, je le répète, ce gars était juste une sombre merde. “Vous ne voulez quand même pas dépenser le peu de pension qu’il vous reste dans de l’électricité hors de prix ? Comme ça quand vos petits-enfants débarquent chez vous, ils peuvent enfin brancher leurs téléphones et consoles sans vous ruiner. Et ils trouveront ça enfin cool de rester chez leurs grand-parents.” “J’hallucine”, pensais-je intérieurement en voyant la mine déconfite du petit vieux qui ne savait pas comment se débarrasser de lui. Mes trois premiers jours furent un fiasco, aucune vente, aucun moyen de convaincre les gens. J’ai beaucoup trop d’empathie et comprend que les gens ne veulent pas être emmerdés ou s’embarquer dans des situations qu’ils ne comprennent et ne maîtrisent guère.

Mon pitch était pourtant plutôt bon :

Bonjour ! Comment allez-vous ? Vous passez une bonne journée ? Vous profitez du soleil un petit peu ? N’ayez crainte, je ne vais pas vous prendre trop de temps et je ne suis pas là pour vous réclamez de l’argent haha (bien forcer le rire surtout) Je m’appelle Sébastien et je travaille pour XXX. J’ai été envoyé dans votre quartier dû à une hausse inconsidérée des prix de l’électricité. Vous avez probablement constaté cela sur vos dernières factures d’électricité, je me trompe ? J’ai été envoyé aujourd’hui pour être sûr que vous et vos voisins payez le bon prix et recevez les réductions dont vous avez droit. Vous payez vos factures chez qui en fait ? Vous les recevez par mail ou par courrier ? Fantastique, ramenez-moi une facture que je jette un œil… (Là, je tourne le dos comme on me l’a appris pour provoquer une réaction du consommateur et le forcer à aller chercher sa facture). Wow ! C’est super cher dites-moi (Ne jamais regarder le montant, toujours utiliser cette réplique). Je peux battre ce prix avec nos 15% de réduction, amenez-moi votre permis de conduire (de nouveau, je tourne le dos pour forcer le futur client à s’exécuter).

Un pitch de départ que l’on devait ensuite personnaliser

Ensuite, la partie la plus ardue commençait, remplir ce fameux formulaire en ligne en encodant toutes les données du client, passer un coup de fil à la centrale pour valider l’accord du client. Un long processus qui parfois était avorté dû à des soucis techniques ou à des clients impatients en train de réaliser dans quoi ils s’embarquaient. La pression était réelle, chaque fois que quelqu’un faisait une vente, Karl envoyait un message sur les téléphones des membres de l’équipe. “9. Et une de plus, Tiffany a réalisé sa deuxième vente de la journée ! Bien jouée meuf ! Qui va réaliser la prochaine ? Si il y a une vente dans moins de 15 minutes, je paye un shot au gagnant. L’objectif de la journée est 15, n’oubliez pas !”. Ces messages anodins censés remonter le moral des troupes ne faisait qu’accentuer mon angoisse et faisait voler en éclat ma confiance en moi. En fin de journée, Karl nous récupérait et nous ramenait au bureau situé à Auckland. Le lendemain, c’était la même rengaine, sauf qu’un tableau était dessiné et affichait les ventes de chacun. On passait de nouveau en revue les pitchs en ajoutant des phrases supplémentaires. “Si vous voyez que la femme qui vous ouvre la porte a plein de marmots et qu’elle est mal fagotée, c’est qu’elle ne s’en sort pas. Dites lui qu’avec ce qu’elle économisera, elle pourra payer un petit cadeau supplémentaire pour ses enfants à Noël…” ou encore “Si vous voyez une femme un peu pomponnée, elle tente d’exister en tant que personne forte et indépendante. Dites-lui que son mari sera content lorsqu’il verra qu’elle aura pris la décision de lui faire épargner de l’argent en choisissant une meilleure option pour son fournisseur d’électricité.” Comment ces gens pouvaient-ils se regarder en face et jouer comme cela avec les sentiments des gens ? Bien entendu, les quartiers dans lesquels ils nous amenaient étaient majoritairement des endroits populaires et loin des belles demeures. On vendait aux classes défavorisées et moins alertes du rêve, de la poudre de perlimpin, un contrat leur offrant certes un prix avantageux pendant un an, avant que ce dernier n’augmente et ne devienne plus cher que les autres concurrents.

Les quartiers populaires étaient la plupart du temps la cible de mon entreprise, mais il y avait des exceptions

J’ai tenu le plus que je pouvais, réussi à conclure deux ventes, gagné un défi d’équipe durant une journée, mais rien n’était bien assez enrichissant pour me permettre de rester dans un environnement aussi pourri. Je démissionnerai après 9 jours seulement. Au final, je n’aurais rien gagné et n’aurait fait que perdre de l’argent. Je décide de me rabattre sur les fermes. Ils cherchent du monde pour travailler dans le business des kiwis, j’espérais y couper, mais pas cette fois.

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2 Replies

  1. Tu as réussi à me donner la haine à cause de ce bête type ! Je ne savais pas que des gens comme ça existait encore !!!

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