Nouvelle-Zélande

Chapitre 4 : L’amour ne se commande pas

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Après avoir quitté mon job dans les fraises, je décide de flâner sur Facebook en quête d’un nouveau taff. Je constate, avec étonnement, beaucoup de gens publier des messages avec leurs desiderata. “Je cherche un job bien payé, maximum d’heures possible, dans la région d’Auckland, avec les week-end de libre”. Le pire, c’est que ça marche ! Je vois de nombreuses réponses de potentiels employeurs. “Pourquoi ne pas tenter?”, pensais-je. Je me mets à la recherche d’un job dans la région d’Auckland, où je peux effectuer un maximum d’heures également. Rapidement, je reçois une réponse de Tapish. Ce dernier bosse pour une boîte de recrutement et fournit de la main d’oeuvre à des entreprises indiennes spécialisées dans les vergers de kiwis. C’est le moment du “thining”, de “l’éclaircissage”, où l’on vire les mauvais bourgeons pour permettre au kiwi de bien grandir. Jusqu’à 50 heures/semaine me garantit Tapish. Cela semble correspondre à mes attentes, j’accepte rapidement son offre. Je suis censé le rejoindre dans deux jours à Pukekohe , situé à un peu moins de cinquante kilomètres du centre d’Auckland. Qu’importe, j’ai besoin d’argent, je suis disposé à m’investir, pour un plus grand but, voyager le plus longtemps possible.

Un nouveau départ approche

Avant mon départ forcé, je décide de me rendre chez Mala une dernière fois. Histoire de lui dire au revoir et de prendre de ses nouvelles avant d’entamer une longue période de boulot.

-Je ne me marie plus, lance-t-elle en ouvrant la porte
-Ha ?! Répondis-je étonné, qu’est ce qui t’as fait changer d’avis ?
-Je ne me sens pas prête, je ne veux pas de la vie que ma famille a choisi pour moi, rétorque-t-elle
-Comment l’a pris ton fiancé ?
-Il ne comprend pas et veut qu’on en parle quand je suis censée rentrer en Inde
-Et ta famille ?
-Pour eux, c’est la catastrophe, mais ils devront bien finir par s’y faire et par me pardonner. Je sais qu’ils m’aiment et même s’ils ne comprennent pas, j’espère qu’ils me soutiendront dans ce choix
-C’était un mariage forcé ? Lui demandais-je sans prendre de pincettes
-Oui
-Comment ça se fait que c’est encore si répandu en Inde ?
-Nous avons une vision différente du mariage qui n’est pas celle des “Westerners
-C’était quelque chose que tu voulais ?
-Non car en vivant en Nouvelle-Zélande, je me rends compte des autres possibilités qui s’offrent à moi, mais je sais que certaines personnes sont contentes de ces mariages arrangés
-Mais comment ?
-C’est compliqué à expliquer, me dit-elle, dans notre culture, le mariage est un véritable palier à franchir, une institution sacrée que l’on doit respecter. Nous avons même des applications de rencontre comme Tinder, mais principalement destinées au mariage
-Pardon ?,M’étonnais-je une fois de plus
-Oui, c’est assez courant. Parfois, c’est même nos parents qui sont au commande de ces applications et qui cherchent le parfait profil, le bon candidat pour se marier avec nous. Souvent, il s’agit de relations de business. Si un profil peut être profitable pour l’entreprise des parents, ces derniers cherchent à collaborer et à sceller un pacte grâce au mariage.
-Putain… Répondis-je abasourdi, je n’imaginais pas que ça pouvait aller aussi loin!

Après notre conversation, j’ai effectué quelques recherches concernant le mariage forcé en Inde et je fus surpris de constater qu’il ne s’agit pas toujours de quelque chose de négatif. Preuve en est, ce très intéressant article qui évoque la différence entre les sentiments et l’engagement. Une Indienne explique cette différence avec la conception du mariage aux Etats-Unis : “Ici, nous nous marions sans avoir de sentiments pour la personne. Nous basons notre mariage sur l’engagement, pas les sentiments. Au plus notre mariage progresse, les sentiments se développent. Aux Etats-Unis, vous basez votre envie de vous marier à cause de vos sentiments, mais que se passe-t-il lorsque ces derniers disparaissent ? Vous n’avez rien pour conserver votre mariage si vous ne vous basez uniquement sur les sentiments.”

L’article met en évidence un point intéressant également, l’assurance d’une stabilité. “Beaucoup de jeunes Indiens préfèrent les mariages arrangés, cela leur donne le temps et la possibilité de profiter de leur jeunesse sans la crainte perpétuelle et les péripéties pour conserver une relation propres à la culture occidentale.

Il est déjà temps de me mettre en route vers Pukekohe et de retrouver Tapish dans un verger de kiwis aux nombreuses allées.

De longues allées remplies de bourgeons de kiwis

-Tu vas travailler à chaque fois pour un employeur différent, m’explique-t-il, mais cela sera le même travail à chaque fois. Tu vas devoir éclaircir les branches où poussent les kiwis, on te montrera comment faire.
-Okay, pas de souci. Je commence quand ?
-Tout de suite !

Les présentations sont brèves, le travail m’est rapidement expliqué. Il s’avère simpliste, mais plutôt ennuyeux. Pendant dix heures, je dois retirer les mauvais bourgeons des arbres et avoir la tête en l’air non-stop, ce qui provoque des douleurs au niveau du cou et du dos. N’ayant pas prévu de musique sur mon téléphone, le temps me semble long, heureusement, mes collègues, tous indiens, sont de vraies pipelettes, mais je ne comprends que très rarement ce qu’ils veulent me dire. Leur accent et le manque de vocabulaire ne facilite pas la tâche. Cependant, nous arrivons, par moment, à avoir de vraies discussions, notamment lorsque le boss est dans les parages. Ce dernier traduit pour ses employés et me pose des questions.

-C’est quoi ta religion ?
-Heu… Chacun est libre de choisir ce qui lui convient. Pour ma part, je ne crois pas
-Pourquoi ?
-Je pars du principe que si quelque chose de bon m’arrive, c’est grâce à moi et non pas grâce à une force extérieure ou dû à la volonté d’une puissance divine
-Tu n’as pas l’impression que si tu as la force de penser ça, c’est parce que Dieu te l’a appris
-Ben… Non, pas vraiment
-Pourtant si, à chaque fois que tu résistes à une tentation, à chaque fois que tu fais quelque chose de bon pour ton prochain, tu ne fais qu’appliquer la volonté de Dieu, me répond l’un de mes collègues
-Mais quelle part laissez-vous au libre arbitre donc ? Tout ce que je fais ou choisis serait uniquement le résultat de la volonté de Dieu ?
-Exactement

Cette discussion aura eu le mérite d’être intéressante, mais ne m’aura définitivement pas convaincu. Mais, la religion n’était pas l’unique sujet de conversation de mes collègues, le mariage l’était également. “Oh putain, c’est bien ma veine”, soupirais-je intérieurement.

-Tu es marié ? Me lance l’un d’eux
-Bah évidemment qu’il est marié, rétorque l’un d’eux en rigolant, il a trente ans
-Non, je ne suis pas marié, souriais-je en tentant de profiter du malaise qui allait arriver
-Mais, mais pourquoi ? Insiste celui qui se marrait quelques secondes auparavant
-Tout simplement parce que je ne crois pas au mariage et que je n’ai pas envie de me marier pour le moment.
-Tu n’as pas encore rencontré la bonne, renchérit-il, mais il ne faut pas tarder
-Je ne vois pas le mariage comme un accomplissement, précisais-je, mais je comprends que certaines personnes y tiennent énormément. Chacun ses choix et envies.

Malheureusement, cette conversation aura eu un effet négatif, celle de rouvrir quelques plaies parmi mes collègues. L’un d’eux me conta une bien triste histoire. Il est sorti pendant neuf ans avec une fille de son village. Ils étaient fous amoureux l’un de l’autre, mais lorsqu’il a voulu l’épouser, sa copine l’a repoussé.

-Elle m’a dit qu’elle ne pouvait pas devenir ma femme car nous vivions dans le même village
-Je ne comprends pas
-C’est comme si nous étions frères et sœurs pour elle
-M’enfin, pourquoi pense-t-elle ça ?
-Tout le monde se connaît dans les villages en Inde, on appelle nos aînés tante ou oncle même lorsqu’ils ne sont pas de notre famille. Le lien qui nous unissait était trop fort dès le début

Quand on est trop petits, on utilise des chaussures spéciales pour atteindre les branches

Que répondre à ce type ? Je lui ai fait une moue de compassion, mais ne savait vraiment pas quelle réponse lui apporter. Surtout après 10 heures à entendre des histoires sur le mariage ou la religion, je finissais par saturer.  J’ai changé de verger à plusieurs reprises, rencontrant à chaque fois de nouveaux collègues, tous indiens. Mes doigts étaient brûlés, probablement à force de toucher les bourgeons des kiwis et ma peau finissait par peler de plus en plus. J’ai travaillé une semaine parmi eux avant que Tapish me dise qu’il n’avait plus de boulot pour le moment.

-Je connais un endroit où tu peux aller et là tu pourras bosser pendant des mois. Pas de limitation d’heures, c’est 70h max semaine, tous les jours
-Okay vendu ! C’est où ?
-A Te Puke, à 200 kilomètres d’ici
-Ha ouais, quand même
-Tu auras de quoi te faire de l’argent. Le logement n’est que de 50$ par personne, charges comprises
-Okay, c’est raisonnable encore ! Quand suis-je censé commencer ?
-Nous sommes dimanche, tu peux t’y rendre demain soir et commencer mardi matin
-Vendu !

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