Azerbaïdjan

Chapitre 4 : Prendre sur soi

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Je viens de débarquer devant mon “hostel” à Gabala. Autant dire que je suis surpris… Une fois passé la porte métallique, je me retrouve face à un agréable jardin avec de nombreux arbres fruitiers et quelques poules et lapins qui gambadent. Je me rends rapidement compte qu’il s’agit en fait de l’arrière cour de l’habitation de mon hôte. L’air avenant, casquette en arrière, une trentaine d’années, ce dernier m’accueille avec une franche poignée de main. “Come brother”, laisse échapper Tofiq avec un fort accent. Il m’amène devant l’hostel qui, soyons franc, ressemble plus à une petite maisonnette/studio que l’on pourrait louer sur Airbnb. Douche, toilette, évier, machine à laver, frigo et une petite plaque de cuisson pour cuisiner se trouvent à l’intérieur. Dans l’autre pièce, des lits sont agencés pour remplir le plus d’espace possible. Au total, six lits dans un espace un peu restreint, qui me font penser à la même disposition quand je dormais chez les louveteaux, ce mouvement de jeunesse réservé aux 8-12 ans. A l’intérieur, un homme d’une cinquantaine d’années, cheveux gris, moustache épaisse, léger embonpoint, me salue.

-Habibi ! Lance mon hôte

L’homme sourit et commence à me parler en arabe. Je lui fais un signe des mains afin de lui signifier que malgré mon look méditerranéen, je ne comprends pas ce qu’il me dit. A mon accent, il repère assez facilement que je parle français. L’homme change alors de langue et se présente.

-Je suis Algérien ! Vous aussi vous êtes venus découvrir ce magnifique pays qu’est l’Azerbaïdjan ?

-Oui, tout à fait ! Lui souriais-je, ignorant qu’il me casserait les couilles jusqu’à la fin de mon séjour sur place.

-C’est tellement pas cher ici ! Commence-t-il. En plus, ce type est très sympa. Il m’emmène partout où je veux !

-Ha, je ne suis pas certain de vouloir payer pour des excursions… Le coupais-je directement.

-Ha non, c’est pas une excursion organisée ! Je paie juste le prix du taxi et nous allons ensemble visiter des coins.

-Okay ! C’est déjà plus intéressant! Répondis-je. J’ai vu qu’il y avait un lac sympa dans les environs ! On pourrait peut-être tenter d’y aller demain. 

-Oui, si c’est intéressant, allons-y.

Il commence à se faire tard, je décide d’aller manger dehors avant d’être complètement claqué et de perdre toute motivation. Gabala n’est pas une ville très attirante et le soir elle ne me propose rien d’extraordinaire. Je ne m’éternise pas à errer dans les rues, claqué par les longs trajets auxquels j’ai dû faire face aujourd’hui. 

Aux environs de 4 ou 5 heures de matin, j’entends un réveil qui sonne. “Habibi” se lève alors en grommelant. Je l’entends ensuite faire la prière à quelques centimètres de moi. Il se met alors à chanter comme s’il était seul dans la pièce. Là, je commence déjà à perdre patience. Je décide tout de même de ne pas l’interrompre en plein rituel en me retourne dans mon lit en soupirant. Une fois terminé, j’entends un:

-Hey, je ne sais pas si vous avez vu, mais il y a des couettes supplémentaires si vous avez froid.

-Excusez-moi, mais là je veux juste dormir. Il est cinq heures du matin !

-Oh pardon !

“Habibi” retourne vers son lit et je l’entends se parler à lui-même, probablement pour dire à quel point je suis ingrat. Qu’importe, son attitude sans-gêne m’a déjà crispé. Je me réveille vers 8h, l’heure à laquelle nous avions convenu de prendre le petit déjeuner.

une table dressée avec un copieux petit déjeuner incluant oeufs, fromage, pain, thé, confiture

La table a été dressée sur la terrasse à côté du dortoir.

Tofiq installe les plats, bien copieux, sur la table à l’extérieur. Il me demande d’appeler notre ami “Habibi” pour qu’il vienne déjeuner. Je l’appelle une fois, deux fois, mais aucune réaction de sa part. Tant pis pour lui, je déjeune à mon aise, prend ma douche, m’habille et me prépare pour le départ, prévu vers 9h. “Habibi” traîne, se réveille, décide de ne pas déjeuner, prend sa douche avec une nonchalance digne d’un adolescent et est finalement prêt sur le coup de 10 heures. Alors que je me décide à commander un taxi, l’homme, non sans une once de gêne, demande à Tofiq d’aller prendre un café. Nous finissons par nous arrêter au centre-ville devant une boulangerie/café aux mets appétissants. Il n’en faudra pas plus pour qu’”Habibi” décide qu’on s’y installe tous pour prendre le petit déjeuner. Sauf qu’il était le seul à ne pas vouloir manger en matinée. Il sera finalement 10h45 lorsque nous prenons enfin la route vers le lac. Tout au long du trajet, Habibi ne cesse de poser des questions à Tofiq, qui ne comprend pas parfaitement l’anglais, encore moins le français. Je finis par devenir, sans le vouloir, l’intermédiaire et le traducteur attitré. Les interrogations du cinquantenaire frisent parfois le ridicule et s’apparentent à des caprices. Tofiq interloqué me regarde pour être certain d’avoir bien compris. Malheureusement, je ne peux qu’acquiescer quand je viens de lui dire qu’”Habibi” souhaite visiter un hôtel de luxe pour trouver le parfait endroit pour les vacances de ses proches. Heureusement, un complexe hôtelier se situe à côté du lac. Un établissement qui devrait répondre à ses attentes et l’occuper un instant. 

une partie du lac qui est asséchée et remplie de cailloux

Un chemin longe le long du lac, mais Habibi n’est pas là pour nous accompagner.

Nous arrivons enfin au lac et je ne peux m’empêcher de hausser les épaules pour cacher ma déception. Le lac est très joli, mais vu que ce n’est plus la saison touristique, il est interdit d’y faire un tour. Beaucoup de commerces sont situés aux alentours: restaurants, luna park, jeux de kermesse, tour en poney, … Tout est fait pour que les touristes ne s’ennuient pas. C’est un peu trop à mon goût, moi qui espérait un endroit calme et grandiose.

plusieurs roulottes de "forains" proposent des jeux comme à la foire: tirs, pêche aux canards, massacre, etc

Restaurants, luna park et autres activités de foires permettent au visiteur de ne pas s’ennuyer.

C’est d’ailleurs assez drôle, étant donné que l’Azerbaïdjan n’a pas énormément d’infrastructures consacrées à tout ce qui s’apparente à la nature, la randonnée, l’exploration. Par contre, lorsqu’il y a un coin “instagrammable”, on retrouve les traditionnels structures en cœur “I love” ou encore les cadres pour prendre des photos en y ajoutant le hashtag de l’endroit, des commerces et des activités de tous les côtés. L’endroit paraît gigantesque et est en mesure d’accueillir énormément de visiteurs et de satisfaire les plus réticents. Alors que nous nous baladons le long du lac, “Habibi” disparaît. Nous ne nous inquiétons pas au début car je suis particulièrement intéressé par le discours de Tofiq. De l’autre côté du lac se trouve une énorme bâtisse. “C’est la maison du fils du président ! », m’explique-t-il. “Dans tous les coins sympas de l’Azerbaïdjan, tu trouveras toujours des résidences secondaires du président et de son entourage.” Afin de ne pas créer de discorde, je m’abstiens de faire des commentaires. Je ne peux m’empêcher de réaliser que le président vit néanmoins sa meilleure vie. Après trente minutes, nous commençons à légèrement paniquer, en particulier Tofiq.

Tofiq de dos semble chercher Habibi autour du lac

C’est parti pour le jeu du cache-cache !

Nous finirons par le retrouver dans un hôtel, en train de parler français, à un pauvre réceptionniste dépourvu. L’homme a demandé qu’on lui envoie une vidéo des chambres les plus luxueuses afin qu’il puisse la montrer à ses proches. Mais ce n’est pas tout puisqu’il questionne alors l’employé sur les restaurants aux alentours. Le réceptionniste lui en indique un très bon à l’entrée du lac. En moins de temps qu’il ne faut pour le dire, l’homme nous impose son itinéraire et nous agrippe pour aller voir le restaurant. 

le restaurant propose des cabines individuelles pour que les familles, groupes d'amis puissent manger entre eux sans se mêler à la foule

Le restaurant propose des cabines privées dans un cadre apaisant.

-J’aurais besoin de toi pour traduire, m’explique-t-il d’un ton très calme et naturel.

J’éclate de rire, ce qui provoque chez lui un mouvement de sourcils vers le haut. Qu’importe, je souris et l’accompagne jusque là. Sans aucune gêne, de nouveau, l’homme demande à voir les cuisines du restaurant. Je reste à distance, tellement je suis gêné par son comportement. Mais ce n’est pas tout puisque la journée est loin d’être finie. Nous allons en montagne pour boire une tasse de thé avec une belle vue panoramique. Habibi se confie alors à moi:

-Quel beau pays que l’Azerbaïdjan quand même. Rien n’est cher ici. Il ne me reste plus qu’à trouver une femme.

-Ha ! M’exclamais-je, vous cherchez la perle rare ?

-J’ai déjà divorcé trois fois, j’ai des enfants, mais pourquoi devrais-je rester seul et ne pas chercher ?

-Oui, je comprends, répondis-je alors que dans ma tête je pensais plutôt à “tiens tiens comme c’est bizarre vous qui n’êtes absolument pas casse-couilles.”

Les attentes d’Habibi ne se sont jamais alignées sur les miennes. Lorsqu’il ne s’agissait pas de manger et de voir des établissements luxueux, l’homme râlait et préférait rester dans la voiture. J’ai voulu me rendre à un musée dont l’entrée coûtait 50 cents, mais le quinqua a refusé en me répondant “Pourquoi faire ? Qu’est ce qu’il y a de spécial ? On peut voir l’intérieur d’abord ?” Bref, autant dire que mon programme ne collait absolument pas avec ses envies.

une ancienne église en pierre avec un arbre à la droite et entourée d'un ciel gris

Les églises ne sont pas fréquentes en Azerbaïdjan, raison de plus pour y jeter un coup d’œil !

J’ai voulu explorer des églises, mais “je suis musulman donc je ne veux pas rentrer”, des ruines, mais “il n’y a même pas un endroit pour boire un café”, mais aussi quelques points de vue sur la route alors que “ça ne va jamais intéresser ma famille ça, allons ailleurs”. Autant dire que j’ai quitté Gabala avec précipitation en souhaitant à Tofiq bon courage. En effet, Habibi avait réservé une semaine entière dans son “hostel”, et lui demandait de l’aider à réserver ses autres logements, à payer ses achats en ligne car “je n’ai pas de carte de crédit, je lui demande de payer à ma place, comme ça je lui donne l’argent en cash”. Un véritable assisté qui m’a énervé au plus haut point. Le chemin de Gabala à Sheki, ma prochaine destination, est plus facile d’accès. Quelques heures de bus seront suffisantes pour me rendre dans cette ville, étonnement prisée des touristes.

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