Egypte

Chapitre 5 : Nous sommes tous frères

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C’est déjà mon quatrième jour au Caire. Je commence à me faire au bruit, aux klaxons incessants, à la pollution de fin d’après-midi, aux absences répétées de Walid ainsi qu’au petit « bottle-shop » planqué par d’épais rideaux de fer. On toque à la porte de nouveau et c’est encore quelqu’un qui réclame mon hôte, mais il n’est toujours pas là. “Il est fort demandé”, m’interrogeais-je avec perplexité. J’en discute d’ailleurs avec Carlos l’Argentin qui est en train de boire son café dans le salon.

-Ouais, je suis un peu déçu, me lance-t-il, je m’attendais à ce qu’il soit un peu plus présent et qu’on puisse partager des moments avec lui
-Idem, lui répondis-je, qu’il nous conseille des restos ou endroits à voir pour découvrir des coins plus typiques du Caire. Je pense qu’il est principalement là pour prendre le cash. Haha !
-Ouais, je crois aussi.

Le café d’Osman est principalement fréquenté par des locaux

Soudain, mon téléphone se met à vibrer, coupant court à ce début de conversation. Il s’agit d’Osman que j’avais rencontré au cours de mon trip dans le désert. Il me propose qu’on se retrouve à son café, situé à Naser city. Je fais un rapide calcul sur Google Maps et c’est vachement loin ! Mon nouveau pote me dit qu’il viendra me chercher en bagnole avec un de ses amis. Là, je commence à m’interroger : est-ce une bonne idée de partir en voiture avec des inconnus en dehors du centre-ville ? L’Egypte n’est pas l’Asie et je commence à être sur mes gardes. Cependant, après quelques minutes de conversation, j’ai un bon feeling. Je sens la bonté et la gentillesse derrière les messages d’Osman. J’accepte finalement sa proposition et l’attend devant l’immeuble de mon Airbnb. Quelques minutes plus tard, une voiture s’arrête avec deux personnes à bord. Osman et son pote sont là et m’invitent à monter. C’est parti pour quarante minutes de route dans les embouteillages. L’ambiance est détendue, mais le contact passe principalement par Google Traduction. Leur anglais est très mauvais, voire inexistant. Je traduis donc mes phrases en arabe pour qu’il puisse me comprendre. Les questions tournent surtout autour de ma raison d’être venu en Egypte, si je suis marié (celle là on me l’aura posé tellement de fois au cours de mon voyage), comment je trouve les égyptiennes, qu’est ce que j’ai vu, où je compte aller,…). Le paysage change quelque peu et j’arrive dans une zone peu fréquentée, ce qui n’est pas pour me déplaire. J’observe enfin une autre partie de l’Egypte, un petit peu plus rurale. Le café d’Osman est tout de même très grand et cinq serveurs se relaient pour apporter les boissons et chichas aux clients. Comme j’aurais dû m’imaginer, ma présence en étonne plus d’un. Les gens sont moins stupéfaits qu’en Asie, mais leur regard en dit long sur ma présence sur place. Je prend place avec Osman, son pote et un autre individu. On me propose directement une chicha pomme ainsi qu’un thé chaud cannelle-hibiscus. J’accepte par politesse, même si aucun des deux ne me fait véritablement envie. Je poursuis alors ma conversation avec Osman.

Le pays est devenu l’une des plus grandes prisons du monde pour les journalistes. Certains passent des années en détention provisoire sans qu’aucune charge ne soit retenue contre eux

-Cela fait longtemps que tu possèdes ce café ?
-Je l’ai repris il y a un an, me confie ce dernier en tirant sur la chicha, je l’ai entièrement rénové car il était assez vieillot. Je veux en faire un café local et attirer de plus en plus de gens comme toi, à l’international.
-Je suis ton premier client étranger ? Lui demandais-je
-Non, j’ai déjà eu quelques touristes ici. Généralement, ils viennent pour goûter au thé et fumer une chicha.
-A peu près ce que tout le monde fait ici, plaisantais-je
-Oui, exactement ! J’ai eu quelques soucis au début, notamment du vandalisme. Des bagarres ont éclaté et les gens avaient réussi à casser les vitrines de la boutique. C’était difficile de voir le fruit de ton travail s’envoler en quelques minutes
-Tu faisais quoi avant d’avoir ce café ? Tu étais dans la restauration aussi ?
-Non, j’étais journaliste
-Mais non ?! M’exclamais-je, moi aussi j’étais journaliste avant ! Pourquoi tu as arrêté en fait ?
-Je n’avais que peu de temps à consacrer à ma famille et le salaire n’était pas assez élevé. Je gagne plus en m’occupant de ce business
-C’est comment d’être journaliste en Egypte ?

Osman me fait découvrir son thé cannelle-hibiscus

Oman me regarde et sourit nerveusement. “Compliqué”, me souffle-t-il en reprenant une bouffée de chicha pomme. Selon Marwa Maziad, chercheuse en médias et politique à l’université de Washington, la situation s’est dégradé depuis le printemps arabe. “The ownership by the intelligence agencies changed the editorial line in some of these private companies by actually either making it completely entertainment and just like movies and sports and such. Or advocating for a very pro-state, nationalistic, protective, kind of discourse.” De plus, le gouvernement a maintenant une bonne excuse pour infiltrer  les réseaux sociaux tels que Facebook, Messenger et WhatsApp. “For example, you forward messages on WhatsApp to several individuals, what you get is this dissemination of false information charged under the terrorism law. And so, this chilling of society and of activism, has now entered this realm of cyberspace where people cannot even report on reality.
Un triste constat, également repéré par RSF (Reporters Sans Frontières) où le pays se classe, avec trois places de moins qu’en 2019, en 166e position en termes de liberté de la presse. “La situation de la liberté de l’information est de plus en plus préoccupante en Égypte, où les vagues d’arrestations et les perquisitions sont récurrentes. Le pays est devenu l’une des plus grandes prisons du monde pour les journalistes. Certains passent des années en détention provisoire sans qu’aucune charge ne soit retenue contre eux ou sans jamais être jugés, d’autres sont condamnés à de lourdes peines allant jusqu’à la perpétuité lors de procès iniques.” Au vu de ces informations, il semble inconcevable d’être en mesure d’exercer à bien son métier.

La conversation finit abruptement sur un : “Tu as faim ? Tu veux manger quelque chose ?” Il faut dire que le temps passe vite et que l’horloge affiche déjà 18h. “Tant qu’il y a du poulet, je suis okay”, lui lançais-je. La réponse ne se fût pas attendre et je me suis vite retrouvé embarqué dans la voiture en direction d’un restaurant local; du moins c’est ce que je pensais. Grosse surprise, Osman m’emmène avec deux potes au KFC ! Je m’esclaffe intérieurement, mais l’intention est louable. Nous discutons une bonne heure, de tout et de rien. De mes futurs projets, des leurs, du voyage en général et des rencontres que l’on peut faire sur la route. Celles qui changent votre regard, votre perspective et qui font réaliser à quel point le monde est beau et qu’il vaut la peine de sortir de chez soi, d’aller à la rencontre des gens et de bousculer son quotidien.

Sans Google Translate, impossible de se comprendre

Trèves de bavardages, il est déjà 19h, il est temps pour moi de rentrer si je ne veux pas arriver à mon Airbnb trop tard. Avec le trafic légendaire du Caire, il faudra compter au moins une bonne heure pour atteindre le centre-ville. Osman me reconduit en voiture et me dit qu’il y a quelque chose pour moi dans le sac qui est caché sous le siège. Je le récupère et y découvre un bracelet, un collier, un ouvre-bouteilles.

-C’est pour toi mon frère, me lance-t-il, pour sceller notre rencontre
-Oh merci, c’est super sympa ! Lui répondis-je étonné par son geste
-La prochaine fois que tu viens en Egypte, je te montrerai ma famille et ma maison. Je te ferai découvrir les plus beaux coins de la région
-Je ne sais pas quoi te dire Osman, un grand merci mec !

Quelle gentillesse, quelle sympathie. Au-delà des cadeaux, c’est surtout l’intention qui me touche. Nous avons mis de la musique dans sa bagnole, à en faire trembler les vitres. De la musique qu’il adorait, celle que j’aimais aussi. On s’est quittés sur une poignée de main secrète comme si l’on avait 12 ans de nouveau. Quelle journée surprenante et pleine de découverte. L’Egypte m’avait enfin ouvert les bras et je lui en étais reconnaissant.

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