Malaisie

Chapitre 2 : Points de vue divergents

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Les épaisses cernes de ma mère, traduisant la fatigue dû à ce premier et éprouvant voyage en dehors de l’Europe, s’effacent presqu’instantanément à ma vue. Un large sourire apparaît sur son visage alors qu’elle m’enlace en me serrant fortement dans ses bras.

-Tu m’as tellement manqué, me chuchotte-t-elle à l’oreille, tout en maintenant son étreinte maternelle
-Ça va Sébastien ?, me lance timidement mon père qui ne sait feindre l’indifférence trop longtemps

Le guide est derrière nous et nous attend de pied ferme. Tristan est un local et a vécu dans plusieurs pays en Asie. Il parle chinois, malais et anglais et connaît quelques notions de japonais également. Il a vécu plus de 25 ans en Malaisie et nous a été recommandé par notre agence comme un “gars de terrain qui maîtrise tous les coins et recoins de la Malaisie”. Convaincus, mes parents avaient accepté ce choix et, probablement un peu pour me faire plaisir, de faire un mix entre visites/culture/nature et farniente en fin de voyage.

Vue sur la ville depuis les tour Pétronas

-Comment s’est passé le vol ? Demandais-je à ma mère
-Maintenant que tu es là, ça va mieux, me répond-elle à mi-mot

Je me doute d’ores et déjà que les 11 heures d’avion ont dû paraître interminables pour eux qui n’ont jamais été plus loin que l’Europe de l’est pour leur voyage de noces. Nous nous installons dans la voiture alors que mon père tente d’impressionner le chauffeur avec ses dernières leçons d’anglais imposées dans le cadre de son travail.

-ié, four chure, wi kom from béélgioum, lance mon père en gonflant sa poitrine
-Where ? , réplique le guide quelque peu décontenancé
-Belgium, répondis-je de l’arrière de la voiture
-Ha yes ! Chocolate and good beers !, rétorque-t-il directement

Mes parents s’étonnent et se mettent à rire en ajoutant leur petit commentaire. Le voyage vers l’hôtel se passe sans encombres et le programme prévoit un peu de repos pour notre famille, avant de démarrer les visites dès le lendemain. Après avoir déposé nos bagages et pris une douche, nous décidons de nous installer au bar donnant sur le toit. La vue est splendide, la température est agréable (du moins pour moi) et les cocktails sont bons. Un style de vie aux antipodes de celui que j’avais mené les 11 derniers mois. A moi le luxe et les bons petits plats, enfin !

Le palais royal

Malgré la fatigue, je parviens à faire sortir mes parents de l’hôtel pour aller se balader en ville et trouver un restaurant.

-Aller le soir en ville comme ça ? Est-ce bien raisonnable ? Me questionne mon père déjà paniqué
-Mais oui, insistais-je, il y a un marché de nuit pas très loin et sans doute plusieurs restaurants aux alentours

Nous sortons tous les trois et errons dans les rues animées de la capitale malaisienne. Je jette un regard à ma mère et voit son regard complètement perdu.

-Ça change hein, lui signifiais-je
-Ha c’est tout de même plus grand que Villers-Poterie, me lance-t-elle naïvement

Les premiers rabatteurs cernent mes parents et leur proposent des babioles. Coincés et n’osant pas dire non, ils se font alpaguer à l’intérieur d’un petit commerce bordant l’une des rues principales. Je les accompagne par curiosité alors qu’ils se retrouvent piégés par un vendeur insistant qui souhaite leur refourguer des horribles montres plaquées or qui reflètent comme des phares dans la nuit noire. “Que fait-on?”, murmure mon père visiblement mal à l’aise alors que le commerçant tentait d’en mettre une au poignet de mon paternel.

-On n’est pas intéressés, déclarais-je à cet oppressant marchand tout en donnant une impulsion dans le dos de mes parents pour bouger ailleurs.

Le visage de mon père s’éclaircit, comme reconnaissant d’avoir été sauvé d’un sacré pétrin. Nous nous promenons dans les allées, fort fréquentées, de Kuala Lumpur à la recherche d’un restaurant qui mettra tout le monde d’accord. Comprenez pas trop attrape-touristes pour moi, pas trop sale et en dehors des grands axes pour mes parents. Le compromis est rapidement scellé et nous trouvons enfin un endroit où manger notre repas du soir.

-Je ne soupe pas avec des baguettes, préviens d’emblée ma mère
-Ne t’inquiète pas, lui répondis-je, c’est assez touristique ici, ils auront des fourchettes
-Et s’ils n’en ont pas ? Rétorque-t-elle visiblement stressée par l’expectative, je ne sais pas manger avec des baguettes, comment je vais faire ?
-Pas de stress, insistais-je de nouveau, ça va aller

Comme convenu, des fourchettes nous ont été données et les angoisses existentielles de ma mère ont pu être apaisées.

-Il y a beaucoup plus de monde qu’à Villers-Poterie, lance-t-elle entre deux bouchées de nasi goreng.

Je me rends compte que le seul système de référence que possède ma mère est Villers-Poterie, notre petit village de 1286 habitants. Je me doute que ça doit choquer et bouleverser ses repères et son propre système de croyance sur le monde. Mon père, un peu plus habitué de voyager pour le travail (principalement en France) reste tout de même sur ses gardes. “C’est de trop”, me déclare-t-il en parlant du nombre de gens présent. 1.790.000 habitants en 2017 tout de même. Il est loin le temps des magasins soi disant bondés du Ville 2 de Charleroi. Après notre repas, “plutôt bon”, selon mes parents, nous sommes rentrés à l’hôtel, prendre un dernier verre sur le roof top. Une conversation sérieuse fait son apparition, sans prévenir, alors que je sirote mon Cuba Libre.

-Tu as pensé à ta pension ?, me demande frontalement ma mère
-Here we go again, répondis-je du tac au tac
-Ta mère a raison, insiste mon père, il est temps d’arrêter les conneries et de songer à ton avenir
-Je songe à mon présent surtout. Comme c’est parti, rien ne m’assure que j’aurai ma pension à 67 ans, cela sera peut être même plus tard. Quand je l’aurai, je serai sûrement trop fatigué pour entreprendre quoique ce soit ou pour voyager. Une vie passée à trimer pour avoir comme unique finalité la pension. Ce Saint Graal à ne pas perdre de vue comme motivation pendant des années. La récompense après tant d’heures de travail, de stress, de manque de reconnaissance, de factures qui s’amassent de plus en plus. J’ai travaillé comme journaliste indépendant, j’ai subi cette pression, ce salaire de merde, ces horaires décalés et je devais être disponible quasiment à toute heure du jour et de la nuit. Je ne veux plus passer par là.
-Et quand tu devras payer un loyer et tes assurances et tes factures, comment tu feras quand tu rentreras ?
-Qui te dit que j’aurai une maison ? Ou que je finirai par rentrer un jour en Belgique ? Au vu du prix de l’immobilier, c’est peu probable que je m’achète le moindre bien de toute façon. Si c’est pour me retrouver endetté et enchaîné pendant des années, quel est le but ? Quel est le prix et le sacrifice total pour ce “confort” et cette soi-disant “stabilité” qui n’est qu’un couteau sous la gorge pendant de nombreuses années. Je refuse de rentrer dans ce carcan pour le moment en tout cas.

Les sourcils froncés, les yeux fuyants, plus aucun mot ne s’est échappé de nos bouches respectives. Nous sommes allés nous coucher fâchés, mais dès le lendemain, les langues se sont déliées et les sourires sont revenus. Le voyage allait enfin pouvoir commencer.

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