Roumanie

Chapitre 1 : Un vent de liberté

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C’est l’heure ! Je n’ai presque pas dormi de la nuit, les battements de mon cœur résonnaient de plus belle dans ma tête. « Aujourd’hui, je reprends le voyage”, pensais-je encore emmitouflé dans ma couverture. Je me dirige vers la salle de bain, prends une brève douche et m’habille. Je m’empare de mon sac et traverse les rues de Bruxelles en direction de l’arrêt de bus où m’attend Yoan. Je ne pars pas seul cette fois, un pote m’accompagne pendant les dix premiers jours de mon périple en Roumanie. Alors qu’il fut longtemps en code couleur “vert”, le pays est récemment passé à un rouge écarlate sur la carte européenne répertoriant la situation sanitaire de la Covid-19. Cependant, il est trop tard pour faire machine arrière, nous embarquons dans le bus qui nous mènera vers l’aéroport de Zaventem. Le vol se déroule sans encombre et nous atterrissons rapidement à Bucarest. Les premières files commencent et elles ont de quoi nous rendre confus. Toutes les personnes en provenance d’une zone jaune, verte ou ayant un passeport vaccinal doivent prendre la file de droite, celles qui reviennent d’une zone rouge doivent rester à gauche.

La file pour le contrôle des identités et des passeports sanitaires est incompréhensible

Certains Roumains s’impatientent, nous avançons pas à pas à un rythme désespérant. L’absurdité est totale lorsque nous nous rendons compte que tous les passagers – file de droite et de gauche – finissent entassés dans la même salle prévue pour le contrôle des passeports vaccinaux et des documents d’identité. Qu’importe, nous parvenons à nous extirper de ce lieu et je récupère mon sac à dos au tourniquet des bagages. Afin d’en profiter au maximum, nous avons décidé de louer une voiture pour bien explorer la Roumanie. Notre première destination est Eforie Nord, située sur la côte est, à proximité de la mer Noire. Pour y parvenir, il nous faudra affronter les trois heures de route. Le voyage se compose principalement d’autoroutes payantes et de nationales qui traversent les villages. Premier constat: les villages sont particulièrement isolés. Seuls quelques incontournables semblent récurrents: des terrains de football pour les enfants et des établissements de paris sportifs. Lorsque nous arrivons enfin dans la rue de notre établissement – une “guesthouse” tenue par un particulier -, il nous est impossible de trouver l’endroit. Le quartier n’inspire pas confiance, il faut dire que le soleil commence peu à peu à se coucher et que les perspectives de trouver une enseigne s’amenuisent. Je retente un nouveau coup de téléphone, resté infructueux lors de mes premières tentatives, j’entends alors une voix qui m’interpelle en roumain.

-Bonjour, c’est Sébastien ! On ne trouve pas la maison !

Soudainement, un portail s’ouvre un peu plus loin. J’aperçois la figure d’Andrei, une quarantaine d’années, un bon embonpoint, les cheveux bien coiffés et teintés, portant une chemise avec le col ouvert. Il nous indique où nous garer. Je m’exécute et le rejoins pour le saluer.

-Vous n’êtes que tous les deux ? S’inquiète-t-il.

-Oui, c’est juste nous ! Répond Yoan.

-Alors je vais demander à ma femme qu’elle prépare le canapé-lit! C’est mieux ! Comme ça si l’un veut regarder la télé et l’autre dormir, il n’y a pas de soucis entre vous. Chacun sa pièce !

Nous acquiesçons, loin de nous douter que la réponse d’Andrei n’est pas si anodine que cela. Il nous présente l’endroit qu’il a aménagé de ses propres mains. “J’ai mis 3.000 euros pour faire ce jardin et la terrasse”, explique-t-il. “Ensuite, j’ai changé l’intérieur des chambres pour 2.500 euros”, poursuit-il. Chacune de ses interventions est ponctuée d’une somme d’argent, suivie d’un regard insistant. Andrei essaye de nous impressionner d’entrée de jeu.

-J’ai même un endroit pour faire un barbecue, nous dit-il en pointant du doigt l’engin quelque peu rouillé.

Nous le laissons et rentrons dans notre logement, qui est situé juste à côté de la chambre dans laquelle il dort. Le lendemain, nous décidons d’aller explorer les environs. Sans surprise, les rues sont assez vides. Ce n’est décidément plus la saison sur la côte roumaine, nous apercevons même des ouvriers en train de placarder des épaisses planches de bois pour couvrir les établissements situés en bord de mer. Le paysage est presque apocalyptique, aidé par ces menaçants nuages et ce vent puissant.

Des transats par centaine laissés à l’abandon

-On se croirait dans “The last of us”, me lance Yoan à tout bout de champ.

Lassé de notre environnement, nous prenons un Uber en direction de Constanta. La promenade y est plaisante et la ville, bien que calme, semble beaucoup moins déserte et désolée qu’Eforie Nord.

La balade le long de la mer est calme et plaisante

Au cours de la journée, nous décidons de faire un barbecue et d’inviter notre hôte et sa famille. Nous achetons un kilo de poulet, des légumes, des saucisses, du pain, des bières et une bouteille de vin. Une fois de retour, nous demandons à  notre hôte de nous fournir de quoi assaisonner le poulet.

Le festin est en cours de route, on s’occupe tout !

Pendant que je m’occupe de préparer les brochettes, Andrei ramène des assiettes, des verres et une bouteille en plastique rempli d’un liquide transparent. Nous ignorons encore qu’il s’agit d’une tuica, une eau de vie traditionnelle roumaine. Celle-ci peut-être réalisée à partir de différents types de fruits: cerises, poires, prunes, abricots, pêches, mirabelles, etc. La « nôtre » est à base de poires et est assez forte, étant donné qu’elle est réalisée par Andrei lui-même. Elle n’est donc pas soumise aux mêmes réglementations et mon système digestif s’en rend rapidement compte.

Moi-même, j’ai fumé toute ma vie, je n’ai jamais rien eu. On veut nous faire arrêter pour des raisons d’argent. Putain de merde

Alors qu’Andrei propose un cocktail bloody Mary à base de tuica, je lui signifie que je passe mon tour et vais boire les bières que j’ai achetées. Andrei me regarde avec un air accusateur. Il s’en va et revient avec deux verres, dont un est réservé à Yohan. Alors que nous trinquons, Andrei me lance une petite pique en disant que la “bière est une boisson de femmes”, et que Yohan et lui “boivent une boisson d’hommes”. Il me tend alors une cigarette, que je refuse également. Andrei se lance alors dans un plaidoyer expliquant que fumer est “bon pour la santé car ça rend les os solides et ça rend fort. Moi-même, j’ai fumé toute ma vie, je n’ai jamais rien eu. On veut nous faire arrêter pour des raisons d’argent. Putain de merde”. Il précise tout de même qu’il n’est pas bon de fumer trop jeune car le corps est trop faible pour la cigarette. Je tombe des nues, mais préfère ne pas réagir. A partir de ce moment, Andrei va me cibler dans ses déclarations.

Les brochettes sont lancées, l’odeur du poulet me chatouille les narines

Quand il voit que je mange des brochettes de poulet, il me dit que “ça fait grossir les seins”, mais quand Yoan les mange, il ne commente pas. Une relation étrange se forme entre nous. Je ne correspond pas à la vision masculine que se fait Andrei et il passe son temps à dire à quel point Yoan et lui sont les mêmes, tandis que moi je suis différent. Nous comprenons alors l’attitude d’Andrei à notre arrivée, qui voulait tant que sa femme prépare des lits séparés. « D’ailleurs où est-elle ? » M’interrogeais-je en silence. La femme d’Andrei est venue apporter quelques objets à table, mais a soudainement disparue. Elle n’est pas conviée, mais Andrei nous dira qu’il lui amènera quelques brochettes pour qu’elle puisse manger plus tard. L’alcool aidant, il commence à nous raconter ses anecdotes de voyage, lui qui a longtemps bossé sur des bateaux en plein mer. Grâce à cela, il a probablement vu plus de paysages que de nombreux roumains. L’occasion de nous apprendre mille et une anecdotes dans lesquelles il est toujours le héros de l’histoire. Il parvient à régler les conflits, que ce soit en étant plus malin que ses supérieurs ou par la force. “Je lui ai mis tellement de claques qu’il a compris”. Une histoire encore plus inquiétante lorsque je repèrerai une arme à feu sur la table, laissée en évidence entre le papier essuie-tout et une tasse.

Andrei est décidément plein de surprises…

Andrei a l’air d’être également un fameux playboy et nous explique le nombre de filles qu’il a tirées en voyage, tout en précisant qu’avec sa femme c’’est du solide. “Pour être heureux, il ne faut rien dire, mais je l’aime encore, nous c’est une histoire de 35 ans qui dure. C’est du sérieux. Je l’appelle encore mon amour, je n’imaginerai pas ma vie sans elle.” La soirée se termine alors après quelques verres de Tuica.

Le lendemain, nous devons nous mettre en route pour quitter Eforie Nord. Cependant Andrei insiste pour nous faire goûter une soupe traditionnelle qu’il a mis à cuire depuis la veille. Nous sommes donc coincés et ne pouvons éviter ce met étrange. La ciorba de buta ou soupe de tripes roumaines, est servie dans nos assiettes. Andrei le reconnaît, ce n’est pas sa meilleure réussite, il aurait fallu la cuire plus longtemps, mais nous « partons trop tôt pour qu’elle soit parfaite« . Les morceaux de tripes flottent dans le potage, qui est agrémenté par plusieurs cuillerées de sauce aigre à l’ail. L’aspect et la texture des tripes est tout bonnement ragoutante. C’est une sensation visqueuse qui colle aux parois de votre larynx, tout en se désagrégeant petit à petit. Yoan et moi-même en rigoleront des jours après.

Notre rencontre avec Andrei restera, sans l’ombre d’un doute, gravée dans nos mémoires

Avant de larguer les amarres, Andrei en profite pour nous lancer une énième blague de cul dont seul lui a le secret. Nous sourions, par politesse, et nous nous mettons en route. Nous retiendrons d’Andrei son hospitalité, sa bonhomie, sa volonté de bien faire, mais également ce besoin constant d’être au centre du débat et d’adopter une figure dominante, presque héroïque. Ce début de voyage en Roumanie respecte déjà toutes ses promesses: surprises, dépaysements et aventures !

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