J‘arrive à la station de bus de Oaxaca vers 20h. Après m’être faufilé à l’intérieur parmi une masse de gens, je fais d’incessants allers-retours pour trouver où je suis censé embarquer. Il faudra me fier à mes notions d’espagnol (inexistantes) pour parvenir à « déchiffrer » le nom de ma destination à travers un vieux parlophone grésillant: « San Cristobal de las Casas. » J’embarque en temps et en heure avec plusieurs autres personnes à l’intérieur d’un bus relativement confortable. Nous attendons encore quelques minutes après l’heure du départ, mais le véhicule reste étonnement vide. Nous sommes peut-être dix au grand max, pour la plupart des jeunes voyageurs.
Un homme de la station monte à bord du véhicule, muni d’un vieux camescope. Il explique un truc en espagnol, incompréhensible, et avance alors petit à petit en prenant le soin de filmer chaque passager, particulièrement leur visage. Il parcourt le bus d’avant en arrière avant de sortir à nouveau du véhicule. Je ne comprends pas très bien pourquoi, mais j’imagine que c’est pour une question de sécurité ou d’identification des corps en cas d’accident. C’est en tout cas ce que je me suis imaginé. « Super rassurant« , rigolais-je nerveusement.
Le bus démarre enfin sur le coup de 21h30. Il est temps d’entamer nos douze heures de route. Pas de chance, à bord je ne dispose pas d’un écran sur le dossier du siège d’en face. Pas moyen de regarder des films comme celui que j’avais pris pour aller de Puerto Vallarta à Guadalajara. En outre, l’état des routes n’est pas optimal et le bus valdingue de toutes parts. Après avoir lu quelques articles et répondu à plusieurs messages, je décide de ranger mon téléphone et sortir mon masque de nuit ainsi que mes bouchons d’oreille. Je me surprends à fermer les yeux quelques heures, malgré des micro réveils assez fréquents. J’arrive à enchaîner les demie heure de sommeil plus facilement que je ne l’aurais pensé.
A un moment donné, le bus s’arrête. Soudainement, les lumières s’allument et éclairent l’intérieur du véhicule. Je frotte mes yeux, regarde mon téléphone, il est 4h30. J’aperçois un homme vêtu de noir. Je mets mes lunettes et constate que le 3⁄4 de son visage est masqué par une énorme écharpe noire enroulée et ne laissant apparaître que ses yeux. Il discute avec un passager en espagnol, mais je ne comprends pas ce qu’ils se disent. Est-ce un policier ? Je commence à avoir un doute.
L’homme poursuit son avancée dans le véhicule et s’entretient avec un passager. Cette fois-ci, il semble beaucoup plus insistant. Enfin, il arrive à mon niveau et me demande quelque chose que je ne comprends pas. “Je ne parle pas espagnol”, lui répondis-je. Il exige mon passeport et se met à fouiller les poches de ma veste. Je ne sais toujours pas qui se trouve face à moi. Je m’exécute bêtement, encore sonné par le manque de sommeil. Il prend mon passeport, l’ouvre et se met à le secouer nerveusement. « Qu’est ce qu’il cherche ?« , m’interrogeais-je. L’homme se débarrasse de mon document d’identité en le jetant sur le siège à côté de moi. Il me dit ensuite “Money, money”. Je fais mine de ne pas comprendre tout de suite, ne sachant plus si j’ai affaire à un truand ou un policier. Le gars ouvre alors mon sac à dos et s’empare de mon portefeuille que j’avais laissé à l’intérieur. Je n’ose pas bouger car j’ignore si ce gars est armé. Il ouvre le compartiment où se trouvent les billets. Pas de chance pour moi, j’avais justement été retirer de l’argent au distributeur avant d’embarquer. A l’intérieur, plus de 2.500 MXN, dont 3 billets de 500 MXN. Il les attrape mais laisse les autres billets de 200 et 100. Il aperçoit 5 euros et les prend aussi. Par contre, il me laisse les 2 dollars américains qu’il me restait de l’Alaska. Il met ensuite les mains dans les poches de mon pantalon et cherche davantage d’argent. Je commence à paniquer car l’homme insiste de nouveau pour que je lui en donne plus. Je n’arrive plus à me contrôler après lui avoir signifié déjà à plusieurs reprises que je n’avais pas d’argent caché ailleurs. Je vois rouge et hurle: “I don’t have anymore money!”
L’homme finit enfin par me lâcher. Il se dirige vers le fond du bus pour parler au dernier passager et poursuivre sa « quête ». Il sort ensuite du véhicule dans un silence de plomb, laissant les passagers encore endormis complètement hébétés. Le chauffeur, quant à lui, éteint les lumières et se remet en route comme si de rien n’était. Je jette un rapide coup d’œil par la fenêtre et aperçoit que le type est seul et n’a pas l’air armé. Je m’attendais à voir du monde ou un quelconque barrage en plein milieu de la route, mais il n’en est rien. Je me demande dès lors pourquoi le chauffeur de bus s’est arrêté. Il me faut quelques minutes avant d’avoir l’idée d’ouvrir Google Maps et de faire un « screenshot » de l’endroit où le bus se trouve. J’agrandis le reste de la carte et constate avec surprise que nous ne sommes plus sur la route principale, mais bien sur des petites routes de montagne. C’est un détour qui rajoute presqu’une heure de plus à l’itinéraire de base. Je n’ai plus aucun doute, le chauffeur était sans doute de mèche. Nous n’étions que des blancs à bord de ce bus et moins de dix, c’était sans doute la configuration parfaite pour que le chauffeur se mette un extra dans la poche.
Je suis étonné du silence qu’il règne dans ce bus, personne n’ose parler. J’aperçois un passager changer de siège et venir s’asseoir à la rangée devant moi. Il est Brésilien et m’interroge sur mon état. Il me demande si je vais bien et si je n’ai pas été blessé. Je le remercie et lui explique tout ce qu’il vient de se passer. Je suis le seul à m’être énervé tout haut, les autres sont restés silencieux. Je discute avec lui afin d’essayer de comprendre ce qu’il s’est passé. Il ne semblait pas au courant que nous avions quitté la route principale également.
Nous arrivons enfin à San Cristobal de las Casas vers 8h du matin. Avant de quitter le bus, j’aperçois une batte de baseball rangée dans un sac juste à côté du chauffeur. « Il aurait pu se protéger et le menacer s’il n’avait pas une arme« , pensais-je. Après vingt minutes de marche jusqu’à mon hostel, je m’effondre dans mon lit. Quelques heures plus tard, je fais la connaissance du propriétaire et lui explique mon histoire. Je lui montre également l’endroit où mon « agression » s’est produit. Il laisse échapper un “mierda”, en m’expliquant que le sud du Chiapas est problématique et qu’il existe une recrudescence de problèmes liés à la guerre de territoire et de la drogue. Notre bus s’est arrêté entre Arriaga et Los Tamarindos, une région « de plus en plus dangereuse« , selon ses dires. Je décide de revoir mes plans car j’étais censé emprunter exactement la même route afin de revenir à Oaxaca de prendre un avion vers Mexico City. A la place, je prendrai un bus vers l’aéroport le plus proche, celui de Tuxtla Guttierez, à savoir à une heure de route d’ici. Je ne veux plus prendre de risque.
Je décide de ne pas rester frustré et sors ensuite visiter San Cristobal, mais je ne suis pas d’humeur. J’observe une forte présence policière, lourdement armée qui parade de temps à autre en ville. Beaucoup de policiers sont postés devant les commerces, les banques, notamment avec des fusils à pompe ! Au loin, j’entends à plusieurs reprises des rafales de balles ou des feux d’artifices, c’est difficile à distinguer avec la fatigue. Drôle d’ambiance dans le Chiapas… Après m’être renseigné auprès d’un pote, j’en apprends un peu plus sur la manière dont fonctionne les compagnies de bus. Afin de contrer les enlèvements de touristes au Mexique, les employés de ces compagnies ont pour ordre de filmer les passagers , et ce afin de constituer des preuves au cas où le chauffeur de bus serait impliqué dans un enlèvement. C’est à la fois rassurant et super angoissant !