Bulgarie

Chapitre 1 : Sentiment d’injustice

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-C’est bon, allez-y ! 

J’exulte et tourne mon regard vers Tristan. Son sourire en dit long, il n’arrive pas à y croire non plus. Pourtant, nous venons bel et bien de traverser la frontière roumaine en direction de la Bulgarie. Nous nous arrêtons quelques mètres plus loin pour s’affranchir de la vignette électronique qui nous permettra d’explorer les moindres recoins des routes bulgares.

-Je n’y crois toujours pas ! Lançais-je l’air ahuri.

Première balade en Bulgarie sous un beau soleil

En quittant Iasi, en direction de Bucarest, je m’étais décidé à prendre un hostel afin de me reposer et décider vers où aller ensuite. Cependant, quoique j’entreprenne en ligne, je me retrouvais bloqué. Je ne parvenais pas à trouver le moindre bus qui parte de Bucarest en direction de la Bulgarie. C’était du même acabit pour les trains, aucun ne semblait être en mesure de traverser la frontière. S’agissait-il de restrictions particulières en période Covid ? Je n’arrivais pas à comprendre. Je suis parvenu à trouver une alternative pour me diriger en Serbie, mais cette option me contraignait à repartir à l’ouest, à Cluj-Napoca. L’occasion de retrouver le bar de Dimitri et lui dire bonjour. Cependant, cette perspective ne m’emballait pas particulièrement puisqu’elle impliquait des heures de train. L’auberge de jeunesse dans laquelle j’étais était quelque peu déprimante: rien ne s’y passait vraiment et les gens n’étaient pas très causants. Un soir, j’ai décidé de remonter dans ma chambre afin de m’étendre sur mon lit et réfléchir de nouveau aux différentes options qui s’offraient à moi. Après avoir ouvert la porte de la chambre, je suis tombé sur Tristan. Habile de ses doigts, il faisait tourner inlassablement une boule de jonglage sur sa main droite. A chaque fois que celle-ci semblait trouver un chemin vers le sol, il parvenait à la rattraper in extremis. 

-Salut ! T’es Français ?

-Hey ! Non, je suis Belge, mais je pense qu’on devrait se comprendre quand même.

Sans le savoir, nous étions tous les deux en quête de la même chose: explorer la Bulgarie. Après quelques minutes de discussion et autres blagues foireuses, Tristan m’a demandé quels étaient mes plans. Je lui ai répondu que j’essayais tant bien que mal de me rendre en Bulgarie, mais que je n’arrivais pas à trouver une option satisfaisante.

-Ha ! Ben, si tu veux j’ai ma voiture ! J’ai voyagé de France jusqu’ici et je comptais justement tenter de traverser la frontière demain.

Mes yeux se sont illuminés ! Partager un voyage est déjà une expérience enrichissante, mais en particulier lorsque la personne a la même vision du voyage que vous. Tristan est un petit peu plus âgé que moi, mais a déjà pas mal baroudé de son côté également. Nos cheveux gris, yeux bleus et peaux mates pourraient presque nous faire passer pour des frères. J’ai accepté sans trop réfléchir la proposition de Tristan, mais lui ai signalé que nous devrions probablement nous renseigner pour les conditions d’entrée. Malheureusement, nous ne trouvions que des informations contradictoires concernant le test PCR. Certains sites nous disaient que notre nationalité belge et française nous en exempterai si nous possédions un “green pass” ou Covid Safe Ticket. D’autres au contraire, préconisaient un test puisque la Roumanie faisait partie de la liste des pays rouges pour la Bulgarie. Malheureusement, il était trop tard pour faire n’importe quel test. Nous avons décidé de prendre le risque de se faire refouler ou de payer tout simplement pour un test PCR. J’ai finalement accepté la proposition de Tristan et nous avons embarqué dans sa voiture dès le lendemain.

Direction la Bulgarie à bord de la Tristan mobile

Sa Peugeot rouge est remplie de sacs et semble prête à exploser. Néanmoins, dans le chaos Tristan parvient à me faire une place pour mes affaires. Je lance l’itinéraire sur le GPS et nous nous mettons le cap vers la Bulgarie. La route qui mène à la frontière s’enfonce dans une purée de pois sans nom. Impossible de voir ce qui se dresse devant nous, comme si la Roumanie cherchait à tout prix à nous retenir et refusait de nous laisser partir vers de plus vertes contrées. Une fois arrivés sur place, à peine quelques minutes d’attente suffisent à ce que nous arrivions au premier guichet de la douane. Une dame qui observe ma carte d’identité me demande si je suis Roumain. Je lui réponds par la négative, mais lui confirme mes origines italiennes. Elle sourit, un peu gênée, je crois que je lui ai tapé dans l’œil. Si bien qu’elle en oublie nos narines et nous laisse passer après lui avoir lancé le plus beau “mulțumesc” possible (qui signifie merci en roumain).

Nous venons de franchir la frontière bulgare et nous nous mettons à rouler en direction de la première ville pour prendre la température du pays. Au-delà d’un sentiment d’euphorie, le soleil est bel et bien présent. Malgré un léger vent, il fait bien plus chaud en Bulgarie ! Nous sommes presque à 20 degrés en plein mois d’octobre. Nous sommes à mille lieux de la Roumanie, pourtant ce même sentiment règne. Les gens ne sont pas habitués à voir des touristes partout. Les regards interloqués en disent parfois long sur la méfiance vis-à-vis des étrangers. Plusieurs exemples se sont offerts à nous.

Toute personne qui pénètre sans autorisation s’expose à des conséquences dramatiques

Les premiers jours en Bulgarie se passent néanmoins sans encombre, avec des paysages magnifiques, des villes étonnantes et une température idéale. Notre insouciance nous amène jusque Karlovo. Notre hôtel est tenu par une quinquagénaire à l’air avenant. Elle nous informe qu’à partir de lundi, soit deux jours plus tard, il sera nécessaire de montrer le “green pass” (Covid safe ticket) pour pouvoir dormir dans les hôtels et manger dans les restaurants. Elle nous parle d’un retour au fascisme et se sent désemparée face à la situation. Il faut dire que son hôtel est quasiment vide, mais elle nous propose, tout de même, de nous préparer le petit déjeuner à notre réveil. Nous la quittons, après qu’elle nous ait recommandé un petit restaurant non loin d’ici. Lorsque nous arrivons sur place, nous sommes bel et bien les seuls. Lazar, la vingtaine, cheveux blonds et gueule symétrique, est le serveur qui nous assiste ce soir. Il est agréablement surpris de voir que nous parlons anglais et parvenons à baragouiner quelques mots en bulgare tels que “bonjour”, “bière” et “merci”. Il en profite pour discuter avec nous et nous explique qu’il a été “busboy” aux Pays-Bas. Cependant, son niveau de maîtrise de la langue de Shakespeare n’était pas suffisant pour conserver son job longtemps. De retour en Bulgarie, il est revenu à Karlovo pour vivre. Une sorte de malaise commence tout doucement à s’installer car la conversation dévie soudainement sur les Bulgares. “On a un magnifique pays, avec une super belle nature, mais les gens sont idiots. Ils laissent traîner leurs papiers partout et c’est pour ça que certains endroits sont pollués et remplis de déchets !”, se lamente-t-il avant de devoir s’éclipser vers la cuisine.

De nombreuses villes bulgares jouissent de paysages sublimes

En nous apportant nos plats, il nous informe de l’obligation prochaine du certificat de vaccination et enchaîne en nous expliquant que “le virus a été créé pour permettre à la planète de se reposer car on ne la traite pas bien.” Il continue son raisonnement en nous assurant que “moi vivant, jamais on ne m’injectera cette saloperie. Mon corps, mon choix !” Tristan et moi nous nous regardons impuissants. Nous sommes tous les deux vaccinés et rien que nous ne puissions dire ne pourrait apaiser son profond malaise et son manque de confiance et d’optimisme. C’est d’ailleurs un point commun entre les personnes anti-vax repérées au cours de mon voyage en Roumanie et Bulgarie. Il s’agit bien souvent de personnes fragiles, ayant souffert, et qui ne comprennent pas la situation dans laquelle ils se retrouvent. C’est une forme d’injustice qu’ils vivent comme une attaque personnelle, comme si elle était dirigée spécialement contre eux. Lazar ira même jusqu’à s’engueuler dans les toilettes au téléphone pendant que j’étais tranquillement assis sur la cuvette dans la cabine à côté. Pas très reposant, je peux vous le garantir ! Le lendemain, il est temps pour nous d’explorer davantage et de transformer nos visites paisibles en randonnées. Le challenge nous appelle ! 

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