C’est décidé ! Il est temps pour moi de quitter Bucarest et d’embarquer dans un vieux train – dont le crissement des roues lors du freinage vous dresse les poils – et de me diriger vers l’ouest.
Ma première destination est Craiova, à 5h30 de route de la capitale. Les trains en Roumanie sont tout de même moins vétustes que je ne le pensais. Des prises aux extrémités, un petit renfort pour le dos et un wagon climatisé, pourtant, je ne suis qu’en deuxième classe. Par contre, le trajet en lui-même est pénible. Le train saute et bondit inlassablement tous les deux mètres. Des souvenirs du Sri Lanka me reviennent en mémoire, laissant apparaître un sourire benêt sur mon visage encore endormi. Une fois arrivé sur place, un nouveau défi m’attend: marcher jusqu’à l’hôtel avec mes deux sacs pendant une quarantaine de minutes. Une fois arrivé, je m’effondre dans mon lit et me décide d’explorer la ville le lendemain.
Après avoir pris mon petit déjeuner, je décide de travailler mon mandarin dans la cour extérieure, idéalement située face au soleil. A ma gauche se trouve Marianne, une roumaine qui vit à Londres depuis plusieurs années. Originaire de Craiova, elle y revient presque chaque année – sauf en 2020 pour des raisons évidentes – pour revoir ses proches. “Pourquoi diable est-elle dans un hôtel ? Personne ne pouvait l’héberger ?”, pensais-je. Avant même que je ne puisse formuler mes pensées, Marianne apporta une réponse à mes questionnements.
-J’avais besoin de finaliser quelques papiers, avoue-t-elle avec un sourire timide, j’ai perdu mon mari il y a quelques années. C’était un chanteur, mais il écrivait des poèmes aussi. Avant de vendre la maison, j’ai retrouvé une caisse avec ses effets personnels. Il y avait caché de nombreux poèmes, qu’il avait parfois l’habitude de chanter en s’accompagnant de sa guitare. J’ai commencé à chercher tous ses écrits, les corriger, les dactylographier. Je souhaiterais en faire un bouquin pour honorer sa mémoire.
-C’est une super bonne idée ! M’exclamais-je, c’est véritablement une belle manière de lui rendre hommage. Vous partagez sa passion avec plein de personnes, il serait extrêmement content.
-Je l’espère aussi, même s’il était parfois ronchon, plaisanta-t-elle non sans laisser une fine larme couler le long de son visage.
Deux jours plus tard, il est déjà temps pour moi de prendre un nouveau train en direction de Timisoara. Ce n’est véritablement plus la saison, je suis seul lors de mon arrivée dans l’hostel. Même le réceptionniste n’est pas présent ! Via quelques indications par messages, je parviens à récupérer le code et la carte magnétique qui me permettra de rentrer dans ma chambre. Un dortoir de 6 entièrement vide ! Le lendemain, après avoir fait la connaissance de Stéphane, ancien backpacker et propriétaire de l’hostel, je lui demande de l’aide. Je souhaite effectuer une randonnée dans le parc national de Cheile Nerei qui se trouve à 120 kilomètres de là. Cependant, aucune information en ligne n’indique avec précision où démarre le trek auquel je rêve de me confronter. Aidé de Stéphane, nous passerons une trentaine de minutes à chercher. Il téléphonera à ses contacts et j’userai de mon culot pour contacter toutes les personnes ayant “checkées” le parc sur Facebook. J’obtiendrai enfin mon information grâce à une amie de Stéphane. Le trek se situe dans une partie où les vipères à cornes et les lynx ont l’habitude de vivre. Après les ours, me voici donc face à une nouvelle possibilité de rencontre avec la faune sauvage. Pour parvenir à mes fins, je décide de louer une voiture depuis l’aéroport pour bénéficier d’un tarif avantageux. Pour m’y rendre, je prends un Uber et fait la connaissance de Cristian. Chauffeur à plein temps, il m’explique qu’”en été c’était rempli partout. On avait beaucoup de touristes, j’avais plein de taff. Mais avec ce putain de virus, je ne gagne quasiment rien. La ville est désespérément vide. J’espère vraiment que cela va s’améliorer. Sinon, je ne sais pas comment je vais faire pour vivre.” Face à son désespoir, je ne pu que lui dire que j’espérais également que la situation s’améliore une bonne fois pour toutes. Malheureusement, au vu de la méfiance des Roumains pour la vaccination, il était peu probable que les choses changent rapidement. Je le quitte en lui recommandant de s’accrocher. Il me remercie chaleureusement et lève son poing en signe de résistance.
Après quelques péripéties avec l’agence de location, je parviens enfin à me mettre derrière le volant. C’est parti pour 1h45 de route cabossée, étroite et particulièrement embouteillée. Le début de ma randonnée se situe véritablement au milieu de nulle part. Les nuages sont épais et le vent souffle à une vitesse folle, balayant mes cheveux dans tous les sens, et faisant constamment tomber ma capuche. D’une vaste plaine, le terrain prend soudainement des airs de vallée et de gorge montagneuse. Un paysage sublime, qui contraste avec la puissance des bourrasques de vents, et l’apparente quiétude que je ressens à explorer la région.
En cours de route, je fus pris d’un mouvement de panique après avoir aperçu une silhouette bondir dans un buisson sur ma gauche. J’ai cru apercevoir un arrière-train et une queue d’apparence féline. Ma première impression fut celle d’une rencontre inopinée avec un lynx. Pour éviter toute mauvaise surprise, je sors mon téléphone afin de mettre de la musique et de la diffuser bien fort autour de moi. Mon but: faire peur autant que possible à la faune sauvage et, par conséquent, éviter une rencontre impromptue avec un félin ou un ours.
Après plusieurs heures de randonnée, mon retour se déroule sans encombre, jusqu’à ce qu’une alerte sonore aiguë me fasse sursauter. Je sens mon téléphone vibrer une fois de plus et je m’en empare avec inquiétude. Je me souviens avoir déjà vécu ce type d’alerte à Brasov. En effet, elle annonçait la présence d’un ours dans le territoire. Je suis « sauvé » cette fois-ci, il s’agit d’une alerte sur la Covid-19.
L’épidémie reprend de plus belle et les autorités locales appellent à la prudence et au respect des mesures sanitaires. En effet, l’ouest de la Roumanie est en rouge foncé. Timisoara n’échappe pas à la règle, malgré le peu de personnes dans les rues et le calme ambiant qui y règne. Ma prochaine destination, quant à elle, se situe également dans la région. Il est temps pour moi de rejoindre Cluj-Napoca, la deuxième ville la plus habitée de Roumanie.