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Chapitre 8 : Esclave à temps plein

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J’ai entamé mon boulot  dans un resto vietnamien, non loin de ma nouvelle colocation. Sans mentir, le travail est exigeant et les collègues sont assez durs. En à peine quelques jours, je passe rapidement d’un mi-temps à un temps plein. En moyenne, je bosse entre 8 à 9 heures par jour, six jours sur sept.

splendide coucher de soleil aux nuances pourpres et rosées

Les couchers de soleil à Calgary: un petit moment de bonheur à la sortie du taff !

Lan, la femme du boss est insupportable. Elle me reprend à chaque geste car tout est très codifié et tout doit se faire comme eux le souhaitent, pas d’alternatives possibles. On nettoie de gauche à droite pas de droite à gauche, on ne lave pas les légumes trop “fort” pour ne pas les casser, on verse la soupe d’une manière bien précise, etc. Le moindre faux pas est réprimandé. C’est une véritable tribu qui travaille ici: Linh, le boss, Lan sa femme, Minh et Kim leurs nièces. Leur manière de parler, probablement due à un manque de connaissance de l’anglais, est très insolente, sans fioritures. Parfois, cela m’énerve au plus haut point car seul les cris sont une manière de communiquer. Souvent même pour de bêtes détails: un sac pour emballer une commande qui n’est pas le bon, une serviette en papier déposée sur un comptoir, la manière de fermer les robinets. Je prends sur moi, mais n’hésite pas à répondre lorsque j’estime qu’il y a un abus ou que l’on m’accuse pour les erreurs des autres.

un selfie pris dans le miroir pendant que je nettoie le sol des toilettes pour homme

Bien entendu, étant le dernier arrivé, je dois aussi m’acquitter des tâches ingrates…

Dans cet océan de cri, je peux tout de même compter sur Rob, un philippin qui travaille dans le restaurant depuis sept années déjà. Il est le seul qui prend le temps de m’expliquer et qui n’agit pas comme les autres. Parfois, j’ai le sentiment que ces gens oublient qu’ils font ce métier depuis 10 ans et que je suis là depuis peu ! La manière d’afficher les commandes est très symptomatique des restaurants asiatiques en Belgique. C’est-à-dire qu’ils fonctionnent uniquement par numéro. Il y a 60 plats à la carte qui possèdent tous une variation bien précise. Par exemple, le numéro 34, c’est  le poulet aux vermicelles. Cependant, le 35 c’est le même plat avec un spring roll, le 36 avec une brochette de scampis et le 37 comprend la brochette et le spring roll. Imaginez la confusion, lorsqu’après 5 jours, je me fais hurler dessus car je rajoute un spring roll dans la commande 36 ! Il est donc particulièrement difficile d’assimiler tout cela en si peu de temps. Pourtant je ne manque pas de mauvaise volonté puisque je recopie le menu, par deux fois, chez moi avant d’aller au travail. Il m’arrive même de mettre certains numéros en évidence en les surlignant au fluo, mais il y a des exceptions à chaque fois ! Entre les commandes sans cacahuètes, les intolérants au gluten, ceux qui veulent une demi-portion de nouilles ou encore ceux qui veulent des suppléments absurdes, on n’est pas gâtés.

deux feuilles A4 où est recopié l'intégralité du menu du restaurant vietnamien qui m'emploie

Je vais finir par le connaître par cœur ce putain de menu !

Prenons les soupes. Une “petite” et une “large” changent évidemment le nombre d' »ounce » (unité de volume au lieu des grammes) de viande. Et bien entendu, le nombre de louches en fonction des soupes changent ! Une grosse louche et un tiers pour les soupes de bœuf larges, mais 4 pour celles du poulet qui sont plus petites. Attention, si l’on rajoute du “peanut saté”, alors on réduit les proportions à une grosse louche et trois pour les poulets car cela fait gonfler la soupe et la rend plus dense. Ces proportions ne sont, bien évidemment sinon ce n’est pas drôle, pas identiques lorsqu’il s’agit des commandes à emporter ! En ce qui concerne les commandes à emporter, ces dernières requièrent des tupperwares différents en fonction de l’heure de la journée. De 12h à 15h on utilise les ronds, de 15 à 21h ce sont les carrés. Bref, un nombre incalculable d’informations face à des gens qui ne comprennent pas que j’ai besoin de temps pour m’adapter, et que je ne peux pas être opérationnel en quelques jours. En outre, l’ambiance est bizarre. Le boss, sa femme et ses nièces me posent des questions très dérangeantes en fin de service: “Comment tu trouves les filles Vietnamiennes ?”, “T’as couché avec des Vietnamiennes quand t’étais au Vietnam ?”, “Tu as été voir les putes là-bas ?”. Au secours ! Mais qu’est ce que c’est que cette famille de cinglés ?! J’essaye de faire bonne figure, mais pense surtout au bon plan que représente le restaurant. En effet, comme lors de mon voyage en Nouvelle-Zélande, cela me permet d’économiser les repas ! Ici, je ne prépare uniquement que mon petit-déjeuner à la maison. Tout le reste, je  m’arrange pour manger au restaurant ! C’est déjà une bonne chose. Le salaire est de 15$ brut par heure, environ 11,4 euros. En net, on arrive à peine à 8,69 euros. Une bien maigre compensation pour tous ces cris et reproches, mais j’ai besoin de cet argent. En moyenne, je preste une cinquantaine d’heures par semaine, ce qui fait vite grimper le montant. Et cet argent, autant le dire franchement, il me fait le plus grand bien. Après avoir payé la voiture, parcouru 8.000 kilomètres, un passage aux urgences à Montréal, autant le dire tout de suite, mon budget a pris du plomb dans l’aile. 

L'intérieur de la colocation à Calgary. De nombreux objets provenant des quatre coins du monde constituent le mobilier.

Une maison que je n’aurais jamais pu obtenir en louant seul !

Après une dure journée de travail, j’ai à peine le temps de passer la porte que ma colocataire, Indra, une Indienne de 63 ans commence à me déblatérer sa journée. Je n’ai parfois même pas le temps de retirer mes chaussures qu’un torrent de paroles inonde mes oreilles. “J’ai téléphoné à mon ami machin…”, “J’ai été prendre un café, mais il était froid”, “Oh le chat a fait un truc trop marrant cette après-midi”. ARGH ! Indra est super sympa, très gentille, mais elle est surtout seule, entourée de ses deux félins. Elle est en manque de contacts sociaux et se rue sur moi pour évacuer ses frustrations de la journée. Je n’ai même pas le temps de me poser dans le calme qu’elle m’assomme de ses anecdotes après près de neuf heures de travail avec à peine 15 minutes de pause. Pourtant, je ne peux pas me plaindre, la colocation est bien. Une grande chambre, un salle de bain privée, internet à volonté. De plus, Indra me propose des sodas, épices, œufs ou fruits. Elle a même descendu mon loyer pour que je puisse l’honorer. Elle voulait que je lui paie 850$, ce qui était bien au-dessus de mes moyens. Elle m’a alors proposé de descendre le montant à 700$, à condition de déblayer la neige pendant l’hiver. J’ai accepté car l’allée du garage n’est pas très grande, et je prie pour que celle-ci tombe le plus tard possible. Quand je vois que je cours déjà après le temps, j’ignore comment je vais être en mesure pour jongler avec toutes ces tâches: les piges en ligne, le restaurant, le blog, la neige. Un sacré challenge !

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