Deux mois se sont écoulés depuis mon retour. Mon rythme de vie est bien différent et ma santé est au plus haut depuis des mois. En effet, fini les 55h de travail par semaine. Je passe désormais la plupart de mes journées face à l’ordinateur à rédiger mes articles de copywriting. J’avais bien envisagé d’aller postuler dans d’autres restaurants, mais je n’avais plus la motivation, ni l’envie de reprendre un taff de ce type. Autant rester chez moi et gagner de l’argent, sans avoir à subir les sautes d’humeurs d’un boss ou encore le stress inhérent à la restauration. Cela me permet de me concentrer sur moi-même et de profiter un peu plus qu’auparavant. Avec le recul, je me demande comment j’ai pu combiner six mois de travail intense et des douleurs quotidiennes à l’estomac sans abandonner. Ce n’est qu’à présent que je réalise être parvenu à surmonter toutes les embûches et les obstacles qui se dressaient sur mon chemin: Des urgences à Montréal, en passant par les ennuis liés à ma caisse, les heures passées à me brûler les doigts au restaurant, les moments à me tordre de douleur à cause de mon estomac. Bref, il est temps de passer à autre chose et d’illuminer mon quotidien !
Je t’ai dit que j’avais besoin d’argent. Tu n’as pas hésité et tu m’as donné assez pour que je puisse me débrouiller dans cette situation d’urgence
Maintenant que je me sens en pleine forme, je n’ai plus envie de m’enfermer dans une situation similaire. Il est temps de développer mon cercle social, de sortir, voir des gens, profiter un peu plus du temps qu’il me reste au Canada. J’ai même retrouvé un pote Taïwanais que j’avais rencontré lors d’une séance de karaoké à Hualien. Lorsque nous nous sommes vus, lui et sa copine m’ont invité au restaurant chinois. Au moment de payer, je veux sortir ma carte de crédit, mais mon pote refuse.
-Tu ne t’en souviens probablement pas, mais lors du tremblement de terre de Hualien, nous nous sommes vus. Je t’ai dit que j’avais besoin d’argent. Tu n’as pas hésité et tu m’as donné assez pour que je puisse me débrouiller dans cette situation d’urgence. Tu ne m’as jamais demandé cet argent, mais c’est à mon tour de te remercier.
Je reste surpris car je ne me souvenais absolument pas lui avoir prêté cet argent. J’imagine que, parmi le chaos et l’intensité du moment, j’ai simplement fait ce que j’aurais voulu qu’on fasse pour moi si je m’étais retrouvé dans une situation similaire. Je le remercie chaleureusement et lui propose de se revoir avant mon départ.
Dès que j’ai la possibilité – si le temps est clément ou si j’ai terminé d’écrire mes articles de la journée -, j’en profite pour aller me balader et explorer un peu plus en profondeur Calgary. En effet, étant loin du centre, je me rends compte que je ne connais pas tous les recoins de la ville. Lorsque je rencontre des gens, je n’ai pas du tout les mêmes références ou points de repères que ceux qui sont connus par tous les habitants. A chaque fois que j’entreprends un trajet vers le centre-ville, je dois consacrer une vingtaine de minutes pour descendre à pied jusqu’à la station de train. L’abribus qui se situe aux abords de la gare est devenu le repère de nombreux sans-abri. Des seringues jonchent le sol, des excréments tapissent les coins et les déchets sont étalés tout autour. La drogue est un véritable fléau, comme j’avais déjà pu m’en rendre compte en visitant Vancouver, et Calgary n’est pas épargnée. Selon mes informations, il semblerait que toutes les grandes villes canadiennes soient rongées par ce mal. Le train en direction du centre-ville peut s’avérer problématique. Je ne compte pas le nombre de fois où d’étranges énergumènes sont entrés en trombe lors des différents arrêts me conduisant à la 8th Street Station. Entre les “crieurs”, les gens hagards et complètement drogués peinant à s’asseoir sur leurs sièges ou encore ceux qui déballent leur seringue et leur petite cuillère en plein jour, il y a de quoi se sentir mal à l’aise. Je me souviendrai toujours de cette fois où, en sortant du C-train, j’ai aperçu un sans-abri pratiquer un massage cardiaque à l’un de ses amis qui semblait inconscient, bouche grande ouverte et yeux révulsés. J’ignore ce qu’il est advenu, mais quel triste paysage. Le Canada connaît actuellement une véritable crise concernant les opioïdes. En outre, le Canada “has seen increases in hospitalizations and deaths due to heroin, fentanyl, and other opioids.” Le cannabis récréatif, quant à lui, a été légalisé en 2018, mais il n’est pas un problème. C’est véritablement la consommation de drogues dures et psychédéliques qui gangrène les Canadiens, en particulier les personnes les plus vulnérables. Rien qu’en janvier 2022, la drogue a tué 160 personnes en Alberta. “The vast majority of deaths were opioid-related and took place in Calgary and Edmonton, however the city with the highest rate of overdose deaths was Lethbridge. It was the deadliest January on record, with a 21 per cent increase in overdose deaths compared to January of last year, and a 229 per cent jump compared to January of 2020.” J’ai désormais une autre vision de Calgary. J’aime toujours la ville, son ambiance, ses habitants chaleureux, sa proximité avec la nature, ses journées ensoleillées, mais je suis convaincu d’une chose: je ne pourrai jamais y vivre constamment. Et probablement que cette impression aurait été la même dans une autre ville du pays.
Je n’irai pas jusqu’à dire que le Canada est déjà derrière moi, mais j’ai envie de passer à autre chose, de voir des paysages différents. C’est probablement la première fois qu’un “working holiday visa” me semble long alors que le temps passé en Australie, à Taïwan et en Nouvelle-Zélande me semblait s’écouler à une vitesse prodigieuse. Cependant, il est vrai que je n’ai jamais bossé sans interruption et en restant au même endroit aussi longtemps durant mes voyages. La découverte a progressivement muté en routine. Toujours aussi insupportable, mais nécessaire pour poursuivre mes aventures à l’autre bout du monde.
Et cette routine sera brisée à quelques reprises par des rencontres impromptues et lunaires. Je me souviendrai toujours de ce couple m’ayant invité à venir chez eux dans l’espoir que je me joigne à eux… Il n’y a pas à dire, le Canada a encore de quoi me surprendre !